régime social des auteurs

Auteurs et Urssaf : le nez dans le Kafka

La caisse Urssaf du Limousin est désormais chargée du recouvrement des cotisations sociales des artistes auteurs. - Photo DR

Auteurs et Urssaf : le nez dans le Kafka

Un vent de panique souffle chez les artistes-auteurs, confrontés une nouvelle fois à des dysfonctionnements administratifs dans la gestion de leur régime social. Chargée depuis l'an dernier de collecter les cotisations sociales des créateurs, l'Urssaf concentre l'essentiel des critiques.

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Par Nicolas Turcev
Créé le 15.10.2020 à 16h59

"Le niveau de stress des artistes-auteurs est énorme !" Katherine Louineau fulmine. La représentante du Comité pluridisciplinaire des artistes-auteurs et des artistes-autrices (CAAP) était reçue, le 9 octobre, dans l'émission web de la Ligue des auteurs professionnels, "Artistes-auteurs : un statut". Son agacement traduit celui de ses confrères et consœurs confrontés à la myriade de dysfonctionnements du portail de recouvrement des cotisations des artistes-auteurs déployé par l’Urssaf cette année.
 
Face à elle, Cédric Bastelica, le directeur de la transition du système de recouvrement, précédemment géré par l’Agessa et la Maison des artistes, tente tant bien que mal de rassurer sur la bonne foi et les efforts déployés par l’Urssaf. Mais la coupe est pleine.
 
Dans une tribune publiée sur le site de Livres Hebdo, le président de la Société des gens de lettres (SGDL), Christophe Hardy, dénonce une "maltraitance administrative [que] nous subissons depuis des mois". "Nous voici donc confrontés à des citadelles pleines de portes qui ne s’ouvrent pas, de couloirs qui ne mènent nulle part, de bureaux où l’on vous confond avec un autre, où l’on vous réclame de payer pour on ne sait plus quoi, où l’on vous attribue un numéro que vous n’auriez jamais dû recevoir... C’est un cauchemar. Il n’est pas kafkaïen", hallucine le responsable.
 
Micmac et double-peine

La liste des griefs est longue : bugs de messagerie, création de compte impossible, déclarations erronées... Mais ce qui a mis le feu aux poudres et provoqué la réaction des associations d’auteurs est la publication, début octobre, de l’échéancier de cotisations provisionnelles sur l’espace personnel des artistes-auteurs.
 
Ce calendrier recense les acomptes trimestriels de charges sociales à verser, calculées sur les revenus de 2019 ou bien estimées à partir des revenus anticipés en 2020 et renseignés par l’auteur lui-même. Problème : certains artistes-auteurs constatent qu’ils doivent à l’Urssaf des sommes indues ou extravagantes.
 
L’incendie se propage rapidement sur Twitter où les témoignages d’auteurs angoissés s’accumulent. Plusieurs créateurs qui déclarent leurs revenus en salaire et pour lesquels le versement des cotisations est normalement pris en charge directement par le diffuseur, comme pour un salarié, découvrent que l’Urssaf leur réclame de l’argent.
 
D'après des retours postés sur les réseaux sociaux et sur la chaîne Twitch de la Ligue professionnelle des auteurs, l’organisation stipule à certains auteurs qu’elle n’aurait pas reçu le versement de leurs éditeurs et leur aurait demandé de régler eux-mêmes les cotisations, pourtant déjà prélevées sur leur rémunération brute : c’est la double peine.
 
D'autres font écho d'agents de l’Urssaf qui auraient suggéré aux cotisants d’assurer eux-mêmes le recouvrement de la somme litigieuse auprès de leur diffuseur, c'est à dire d'assurer une fonction normalement dévolue à l'institution. Au lendemain d’une période de vache maigre, les auteurs se retrouvent ainsi empêtrés dans un écheveau administratif de plus en plus dense et effrayant.

Moduler pour durer
 
Outrées, les associations montent au créneau et demandent des explications à l’Urssaf. Sous le feu des critiques, le directeur de la transition Cédric Bastelica a voulu rassurer les auteurs dans l’émission animée par la Ligue : en cas de litige avec les éditeurs, l’institution garantit qu’elle se chargera elle-même du recouvrement des cotisations et les comptabilisera comme si elles avaient été réglées. Surtout, les auteurs déclarés en indépendants et effrayés par les montants qui leur sont réclamés auront la possibilité d’ajuster leurs revenus pour faire correspondre leurs cotisations aux sommes effectivement touchées en 2020.
 
Ce processus, dit de "modulation" des revenus, est l’une des conséquences de la transition de l’Agessa/MDA vers l’Urssaf. Les auteurs du régime fiscal BNC peuvent dorénavant indiquer le chiffre d’affaires qu’ils comptent réaliser sur l’année courante et payer leurs cotisations chaque trimestre sur cette base. Auparavant, les appels à cotisation se basaient sur les rémunérations perçues les années précédentes.
 
Seulement, pour moduler leur déclaration, les cotisants doivent pour le moment utiliser la messagerie de la plateforme de l’Urssaf, réputée dysfonctionnelle. Ces bugs posent un véritable problème pour les auteurs dont la rémunération a significativement chuté avec la crise du coronavirus et dont le revenu de référence ne correspond plus à ce qu'ils gagnaient par le passé. Afin de simplifier la démarche, l’organisme de recouvrement s’est engagé à mettre en place, au mois de novembre, un mécanisme intuitif de modulation en temps réel accessible depuis l’espace auteur.
 
Combler le vide
 
Pour les organisations professionnelles, les manquements révélés par la publication de l’échéancier des cotisations ne représentent que la pointe de l’iceberg. Si la Ligue reconnait "la réactivité indéniable" de l’Urssaf, elle souligne un "manque de clarté" dans la communication de l’institution, qui peine à rassurer les artistes-auteurs.
 
"Les associations passent leur temps à dire aux auteurs qu’il n’y a rien à payer et à renseigner sur les bugs du portail. On comble constamment, et bénévolement, le vide laissé par l’Urssaf", regrette Katerine Louineau du CAAP sur le plateau de l’émission de la Ligue.
 
En retour, Cédric Bastelica assure que ses équipes sont "mobilisées au maximum" pour assurer une transition sans heurts, mais reconnait que le processus "n’a pas été parfait". Le développement du portail artistes-auteurs, réalisé pendant le confinement, "n’a pas été simple à gérer, [ni] la communication vers les créateurs et les organisations professionnelles", regrette-t-il.
 
Le représentant de l’Urssaf note tout de même que, malgré les dysfonctionnements, la plateforme remplit son rôle de centralisation des démarches. Depuis le déploiement du site au premier semestre, près de 90000 déclarations ont été enregistrées, dont 4000 ont nécessité l’intervention technique d’un agent pour débloquer la situation, soit dans près de 5% des cas. A cela se rajoutent 62000 déclarations validées automatiquement et 26000 déclarations papier.

Des recrutements à venir
 
Etant donné les circonstances, à la fois administratives et économiques, l’Urssaf n’appliquera pas de pénalité de retard pour les cotisations redevables sur l’année 2020, a rajouté Cédric Bastelica. Il a également annoncé le recrutement prochain d’une vingtaine d’agents pour renforcer le pôle artistes-auteurs de l’Urssaf Limousin, actuellement composé d’une trentaine de salariés en CDI. Enfin, il met en avant le dialogue continu avec les organisations professionnelles au sein du comité de suivi de la transition.
 
Les organisations professionnelles, pour leur part, n’en finissent plus de s’impatienter. "Que la transition technique soit difficile, étant donné la rapidité avec laquelle elle a été exécutée, personne n’est dupe. Mais les chiffres des déclarations enregistrées montrent que sur une population de 273000 auteurs, plus de 100000 n’ont pas encore été identifiés et restent sous le radar", insiste Samantha Bailly.
 
"Nous voulons avoir face à nous une administration, des services et des interlocuteurs qui nous identifient, connaissent nos pratiques et nos problématiques, nous conseillent, nous guident, répondent avec clarté et pertinence à nos demandes concernant l’exercice de nos droits", demande le président de la SGDL, Christophe Hardy. Pour qu’enfin le cauchemar se termine.
 

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