Auguste Corteau, tout assumer

Auguste Corteau - Photo © Anastassios Samouilidis

Auguste Corteau, tout assumer

L'auteur grec Auguste Corteau revendique par l'écriture et sa manière d'être la singularité de nos failles et de nos désirs.

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Par Sean Rose
Créé le 23.09.2024 à 12h00 ,
Mis à jour le 23.09.2024 à 15h26

Auguste Corteau se sert un verre de malagousia, son vin blanc grec préféré, en rallumant une cigarette : « J'ai encore du mal avec la bière. » Cette odeur de houblon qui flottait dans l'appartement de Thessalonique de son enfance colle encore désagréablement aux souvenirs d'une mère alcoolique et dépressive. « Elle m'envoyait dès le matin chez l'épicier lui acheter un pack de six. » Quoi qu'il en soit, Petros Chatzopoulos - son nom de naissance avant le pseudonyme français sous lequel paraît chez Belfond L'enfant qui sema la mort - adorait sa mère : « C'était une femme belle, intelligente, hypersensible... » Et lui, le fils unique, était bien sûr le centre de toutes ses attentions lorsqu'elle ne sombrait pas dans la torpeur induite par l'alcool et les benzodiazépines. C'est elle qui lui instilla le goût du français − l'aïeul maternel d'Auguste Corteau, un self-made-man qui possédait des magasins d'alimentation, avait voulu que sa petite dernière fût éduquée dans la langue de Molière... Cela n'aura pas empêché Katerina de décevoir son père qui « quoiqu'adorable avec moi, raconte l'écrivain, était atroce avec tous ses enfants, ne manquant jamais une occasion de les humilier. La plupart de mes oncles et tantes souffraient de troubles psychiatriques ». Auguste Corteau est bipolaire et l'assume : « Je me soigne. » L'auteur de ce roman noir sur une tuerie de masse dans une école en Thrace le clame haut et fort : « La maladie mentale n'est pas une maladie honteuse. » « On prend du paracétamol quand on a une douleur physique alors pourquoi pas des anxiolytiques quand le psychisme va mal. » En Grèce, la dépression était un tabou tel, se remémore-t-il, que ce n'est qu'à l'âge de 12 ans qu'il prend conscience de l'ampleur du mal-être de sa mère, lorsque cette dernière est amenée aux urgences à la suite d'une tentative de suicide... Si la vie est parfois difficile à supporter, ne le serait-elle pas davantage sans écrire ? « Je m'y suis vraiment mis à partir de 17 ans, je faisais alors des études de médecine selon le vœu de mon père dentiste. » Cinq ans sans décrocher le diplôme... Quant à son premier livre, il s'agit de nouvelles sous influence de Sade, « dont j'admirais le style et la philosophie. Mes histoires étaient d'une cruauté frisant l'intolérable ». Le livre des vices (Serpent à plumes, 2001) remporte un succès d'estime mais l'estime ne nourrit pas son homme de lettres. Alors Auguste Corteau, aussi bien versé dans la littérature anglo-saxonne que française, devient traducteur à la faveur d'une opportunité inouïe et d'une gageure qui ne l'est pas moins. Brokeback Mountain d'Annie Proulx est adapté au cinéma et l'éditeur grec qui avait acquis les droits du recueil comprenant la nouvelle a deux semaines pour traduire l'ouvrage afin que la sortie en librairie corresponde à celle en salles obscures. Personne à part Auguste Corteau ne relève le défi. Et puis, outre le délai, ces histoires homoérotiques de cowboys... « Dans la société grecque, ça se fait mais ça ne se dit pas. » Son homosexualité, l'auteur du Livre de Katerina (non traduit en français, sur le trouble bipolaire de sa mère narré du point de vue de celle-ci), l'assume complètement. Pour la singularité jusque dans les failles intimes, contre le rejet de ce qui paraît étrange ou étranger... Auguste Corteau milite à sa façon. Le livre hommage à sa mère suicidée a été un best-seller dont les droits lui permettent encore à ce jour de se consacrer uniquement à l'écriture. Lui et Tassos, l'homme avec qui il partage sa vie depuis plus de vingt ans, ont convolé en justes noces au printemps dernier, ils ont été le premier couple gay marié à la mairie d'Athènes. Sean Rose

Auguste Corteau
L'enfant qui sema la mort
Belfond
Traduit du grec par Clara Villain
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 21 € ; 208 p.
ISBN: 9782714403278

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