7 janvier > Essai France

Côté pile, Christine Jordis assure comme écrivaine, membre du comité de lecture de Grasset et jurée du prix Femina. Mais côté face, cette femme animée d’une grande curiosité aime s’immerger dans d’autres parties du monde. "Tel est le mérite du voyage. Créer la rupture." Une passion héritée de son père. L’univers asiatique l’ayant souvent attirée, la voilà en Corée. Un pays, nimbé de mystère, qui la conduit sur les pas d’un homme sage et érudit, Kim Jeong-hui, alias Chusa.

Un destin rencontré par hasard, lors d’un salon du livre à Séoul. Après son essai sur le poète anglais William Blake, elle brille à nouveau dans l’art du portrait. "Qu’est-ce que l’homme ? Un peu de souffle condensé." Chusa incarne plus que cela, puisqu’il est "à la fois un philosophe, un peintre et un poète, un érudit, le plus grand calligraphe que connut la Corée." Une sommité, que l’essayiste veut cerner en visitant les lieux qu’il a habités. Tout la fascine, "sa pensée et son art, cette sérénité obtenue au travers d’une vie déchirée".

Né en 1786, Chusa est marqué par les séparations. D’abord avec sa famille, lorsqu’il est adopté par son oncle et marié à 15 ans. Ce lettré surdoué s’inscrit dans l’esprit de Confucius. "Apprendre, c’est commencer par avoir des doutes sur ce qu’on tient pour acquis. C’est apprendre à vivre." Il s’agit aussi de mêler ses pensées à la poésie, la peinture, la philosophie et la calligraphie. Le jeune homme poursuit son ascension en entrant au service du roi. Il cumule les fonctions de précepteur du prince ou inspecteur secret, traquant la corruption. C’est là qu’il perçoit une Corée qui ne connaît ni justice, ni paix, ni égalité. Chusa goûte à la gloire, avant d’être précipité dans la chute par des jeux de clans et de pouvoir. "Il a tout perdu, ses biens, son honneur, son renom."

Le prisonnier politique est exilé à Jeju, où il vit dans la précarité. Il est banni du monde, mais pas de la calligraphie, seule liberté possible. "Lui, il sert l’art, la vérité des textes", en l’animant d’une "attitude intérieure". Avant-gardiste, son œuvre picturale est le fruit d’une quête infinie, aussi spirituelle qu’esthétique. "Il faut être soi, au plus près de soi, dans sa singularité. C’est le travail d’une vie", nourrie d’intégrité et de courage. Christine Jordis y voit un humaniste, dont "la vie et l’être sont confondus avec son art".

Une véritable leçon ! Entre les lignes de ce livre, savamment construit, on peut lire une réflexion sur la vieillesse et le monde d’aujourd’hui. L’auteure s’interroge sur les horreurs commises au XXe et au XXIe siècle. "Faut-il configurer un nouveau monde, où le mot humain aurait un autre sens ?"

Kerenn Elkaïm

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