2 février > Essai France > Jean-Pierre Perrin

Le sous-titre de son livre, En Afghanistan, de 330 av. Jésus-Christ à 2016, tendrait à suggérer que Jean-Pierre Perrin s’est rendu sur place, a couvert tous les événements, toutes les invasions, toutes les guerres qui n’ont cessé de jalonner l’histoire de ce pays, depuis l’expédition d’Alexandre le Grand jusqu’à nos jours, reporter de guerre depuis l’Antiquité. Ce n’est pas tout à fait faux. Il est bien journaliste, spécialiste du Proche et du Moyen-Orient, correspondant de guerre à Libération depuis 1992, et l’Afghanistan, où il s’est rendu dès 1982, en pleine guerre contre les Soviétiques, est au cœur de son monde convulsif. Il lui a déjà consacré plusieurs de ses livres, dont Jours de poussière, choses vues en Afghanistan (La Table ronde, 2002) qui obtint le grand prix des Lectrices de Elle.

Mais Jean-Pierre Perrin est bien plus que cela. C’est un bel écrivain, dans la lignée des Albert Londres, Joseph Kessel ou Ernest Hemingway, un homme de vaste culture historique et géopolitique, dont le présent récit constitue la synthèse. Porté par un style d’une élégance et d’une clarté remarquables, même quand il tente de nous faire comprendre le chaos afghan, ces myriades de tribus et de sous-tribus antagonistes, féroces et ingérables qui constituent sa population, il sait rendre aussi présents pour le lecteur le passé que le présent. Il retrace l’épopée d’Alexandre de Macédoine qui, sur la route de l’Inde, conquit ce qui s’appelait alors la Bactriane, faisant même de Balkh (ou Bactres) la capitale de son empire, aussi immense qu’éphémère ; comme les crimes des talibans, d’Al-Qaida ou de Daech, entreprises terroristes qui ont toutes pris naissance en Afghanistan ou au Pakistan voisin, repaire d’assassins depuis la nuit des temps.

C’est pourtant à Balkh que vécut et mourut Zarathoustra, le dieu des Parsis, que naquit et vécut le grand poète soufi Rûmi, et que se forgea l’art du Gandhara, dont Malraux fut l’un des découvreurs, cette fusion unique entre l’Occident et l’Orient, Apollon et Bouddha. "Il semblait naturel aux sculpteurs […]", écrit Malraux dans Les voix du silence, cité par Jean-Pierre Perrin, "de figurer d’abord la suprême sagesse par la suprême beauté". Aujourd’hui, les barbares obscurantistes dynamitent les bouddhas de Bamiyan.

Jean-Pierre Perrin y consacre un chapitre, l’un des plus inspirés de son livre, où Alexandre et sa démesure figurent à chaque page. Un autre chapitre dresse un portrait saisissant, chaleureux mais nuancé, du très ambigu commandant Massoud. Il l’a rencontré plusieurs fois jusqu’à son assassinat, le 9 septembre 2001, juste avant le grand choc du World Trade Center, début de la "guerre totale" mais d’un genre inédit qui frappe aujourd’hui le monde entier. Les Occidentaux l’ont enfin compris grâce à des sentinelles, des lanceurs d’alerte courageux, comme Jean-Pierre Perrin.

Jean-Claude Perrier

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