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Au Paris Book Market, les éditeurs francophones se revendiquent comme des « éditeurs locaux »

Patricia Moukarzel, responsable de cession de droits pour Samir Editeur. - Photo EC

Au Paris Book Market, les éditeurs francophones se revendiquent comme des « éditeurs locaux »

Invités pour la première fois au marché parisien de cession de droits du Bief, qui s’est tenu les 30 et 31 mai 2024, une quinzaine d’éditeurs francophones ont pu faire valoir leur catalogue auprès des éditeurs étrangers.

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Par Élodie Carreira
Créé le 01.06.2024 à 15h22 ,
Mis à jour le 01.06.2024 à 19h26

Du 30 au 31 mai, la troisième édition du Paris Book Market (PBM) a battu son plein, rue de Turenne, à Paris. L’événement a fait rayonner la production éditoriale en langue française avec la présence inédite, cette année, d’une quinzaine d’éditeurs francophones invités à exposer l’étendue de leur catalogue auprès des éditeurs internationaux. « Cette invitation correspondait à la volonté partagée du Bief et des associations francophones de prolonger nos échanges », explique Claire Mauguière, fondatrice du Paris Book Market. Une opportunité supplémentaire, donc, de renforcer le réseau international dédié à la promotion de la langue française, en dehors des deux fellowship qu’organise le Bief chaque année.

« Les éditeurs étrangers sont vraiment intéressés par notre offre »

« Avoir au Paris Book Market des éditeurs d’autres pays francophones enrichit l’événement et élargit l’offre présentée aux professionnels étrangers venus acheter. Il me semble que c’est positif pour tout le monde. Les éditeurs francophones ont été très enthousiastes. Pour les éditeurs du Québec, par exemple, qui sont encore plus régulièrement que d’autres en concurrence avec la langue anglaise, participer à un événement qui met la production éditoriale en langue française au centre des échanges est intéressant. Pour les éditeurs algériens ou marocains, le réflexe de vendre des droits en langues étrangères n’est peut-être pas toujours immédiat du fait d’un plurilinguisme existant déjà au niveau national ; participer au Paris Book Market a été pour eux une occasion de porter leurs auteurs francophones sur la scène internationale », poursuit l’organisatrice. Et pour cause, si la difficile visibilité des éditeurs francophones sur le marché international des droits peut s’expliquer par la précarité de certains marchés, le phénomène s’explique aussi par l’hégémonie de l’édition française, qui représente en moyenne 85% des ventes en langue française.

« En Belgique, les éditeurs belges ne sont pas attendus sur la littérature », confirme Gérard Adam, patron de Meo éditions, dont les auteurs sont essentiellement français, belges et africains. En 2022, 40 % du chiffre d’affaires du marché francophone belge reposait sur l’exportation. Alors, lorsque l’éditeur a reçu l’invitation pour le Paris Book Market, il n’a pas pu refuser. « Les éditeurs étrangers sont vraiment intéressés par notre offre et puis ça nous permet d’élargir nos horizons, de créer de nouveaux contacts et de faire connaître nos livres », se réjouit-il, ravi d’avoir obtenu 36 rendez-vous en deux jours, dont un avec un éditeur canadien.

« Ça fait longtemps qu’on essaye d’être perçu comme un éditeur local »

« Cette invitation est très importante pour nous. C’est une véritable opportunité que d’être là au vu de la présence en nombre et en qualité des éditeurs étrangers invités », confie, tout sourire, Amar Ingrachen, directeur des éditions algériennes Frantz Fanon. Bien que foisonnant en termes d’éditeurs et volontaire pour organiser d’importants rendez-vous internationaux, le marché algérien reste timide concernant les cessions de droits. « Même si nous occupons une place prédominante en Algérie, nous n’avons jamais développé un département dédié à la cession de droits. Pourtant, ici, j’ai rencontré des éditeurs allemands, espagnols, grecs, colombiens, britanniques qui ont montré un véritable intérêt pour notre catalogue et dont il serait dommage de se priver », ajoute l’éditeur.

Pour les éditeurs québécois, dont certains, à l’instar de 400 coups, sont déjà distribués et diffusés en France, le Paris Book Market est aussi l’occasion de renforcer le carnet d’adresses. Et de s’affirmer davantage sur le marché éditorial de la langue française. « C’est surtout symbolique pour nous, ça fait longtemps qu’on essaye d’être perçu comme un éditeur de sciences humaines et sociales local », raconte Alexandre Sanchez, éditrice de Lux Editeur, qui publie des auteurs comme Enzo Traverso, Mathias Quéré ou Thibault Prévost.

Un Liban meurtri

L’enthousiasme n’est pourtant pas débordant pour tout le monde. Reconnaissante de l’invitation du Bief et du soutien de l’Institut français au Liban, qui a pris en charge l’intégralité des frais, Patricia Moukarzel, responsable de cession de droits pour Samir Editeur, ne peut s’empêcher de voir l’événement comme l’occasion de « tirer [sa] révérence ».

En 2020, l’explosion catastrophique au port de Beyrouth a touché les bureaux de la maison, contrainte de fermer physiquement ses portes. « Depuis, nous travaillons de chez nous, mais avec le Covid, la crise économique et la situation géopolitique, le pouvoir d’achat de la population a chuté, plus personne n’achète de livres et nous avons dû arrêter d’enrichir notre catalogue jeunesse », déplore-t-elle. Un véritable cataclysme pour cette maison d’édition spécialisée dans les livres pour enfants et en parascolaire, spécialité pour laquelle elle obtenait, à la Foire de Bologne 2022, le prix des éditeurs dans la section Asie.

Pour survivre, Samir Editeur ne mise désormais que sur le fonds de son catalogue, qu’il continue de proposer à l’exportation, auprès des nombreux acteurs de toute nationalité qui lui sont restés fidèles. Même stratégie du côté de Samer Abdo, représentant de L’Orient des livres, avec qui Samir Editeur partage sa table au Paris Book Market. Créée en 2011, la maison continue de faire dialoguer l’Orient et l’Occident à travers des auteurs visibles sur la scène internationale et sa coédition avec Actes Sud, pour la collection Sindbad. Les yeux humides, Samer Abdo s’acharne, sourire aux lèvres : « Même s’il est de plus en plus difficile de se projeter, nous continuerons de promouvoir la culture et la littérature française, jusqu’à notre dernier souffle ».

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