C'est un premier livre sous tension constante. Un récit autobiographique commencé au moment du séisme qui a ravagé Haïti en 2010, dont l'émotion, la sincérité, la révolte suscitent l'intérêt d'un lecteur parfois agacé, souvent bousculé. Ce qui n'est pas si mal.
L'auteur, qui signe aujourd'hui Tinan Leroy, est un jeune Haïtien, adopté à 4 ans et demi par une mère française célibataire. Laquelle l'a baptisé Christophe, lui a donné tout son amour, l'a élevé de son mieux et lui a offert de bonnes études : Christophe est professeur de physique-chimie dans un lycée et, musicien, il enseigne aussi la salsa. La greffe, semble-t-il, a bien pris. Mais vient un moment où leurs rapports se dégradent, jusqu'à la rupture. Christophe se rebelle, ne se sent pas vraiment chez lui en France, et décide de retrouver ses racines. En 2002, donc, dix-huit ans après, il retourne pour la première fois en Haïti, où il va aller de découvertes en révélations, vivre des expériences belles ou amères.
Dès son arrivée, Christophe redevient Manassé, membre d'une famille innombrable et tentaculaire. On ne compte plus ses demi-frères et soeurs, les tantes et les cousins. Manassé, donc, qui savait que ses parents biologiques étaient toujours en vie, quoique séparés, à Bombardopolis, au coeur du bourbier de l'île, apprend que sa mère, Manza, ne l'a pas abandonné. Trop pauvre pour l'élever seule, elle l'a confié pour quelques mois à une institution religieuse, qui devait le lui rendre et qui en fait a vendu le petit garçon à une étrangère. Bouleversé, scandalisé, le jeune homme rencontre aussi son père, Fleurus, un vrai salaud qui le rejette avec mépris. Sinon, il s'intègre bien au reste de la famille, fraternisant avec son aîné, Omega, étudiant en médecine à Cuba, et les idéalisant même tous. Manassé se veut désormais 100 % haïtien, crache sur la France, apprend le créole...
Pourtant, lors de son deuxième séjour, aux vacances suivantes, il commence à déchanter. Il se trouve pris dans des jalousies aussi absurdes qu'inextricables, des rivalités religieuses entre les catholiques et les sectes "à l'américaine" qui pullulent sur l'île. Il se rend compte, surtout, qu'il est une espèce de vache à lait, celui qui a de l'argent et qui doit aider toute la tribu. Alors qu'il vit modestement en France et se prive pour le faire. A part Omega, beaucoup de parasites. Le choc est rude. "Je suis de nulle part », écrit Leroy, qui rompt avec son ancienne vie (travail, mère, fiancée) pour tenter de se construire à nouveau sous le surnom créole de Tinan et grâce à la salsa.
Ce témoignage, écrit avec précision, vaut par son originalité, les qualités du "héros", courage, compassion, même s'il manque un peu de distance.