Certaines voix nous prennent à la gorge, nous emportant sur une voie qu'on ne veut pas spécialement voir. Pourtant, elles sont nécessaires, peut-être même salutaires. Depuis la nuit des temps, le mythe maternel règne sur l'ensemble du monde. Glorifié, il ne correspond guère à la réalité qui tend à se craqueler. Ashley Audrain y ajoute son coup de griffe. La littérature correspond, pour elle, à une histoire de famille. Sa mère était libraire et elle-même a travaillé comme directrice de publicité, chez Penguin Canada. Elle s'empare de sa plume lorsque son fils a six mois. Comme il souffre de problèmes de santé, elle s'interroge : « Suis-je la bonne mère pour cet enfant ? » Une culpabilisation courante, qui nous renvoie à la pression constante que la société exerce sur cette édifiante figure déifiée. « L'instinct maternel commence très tôt » ou pas...
Tel est le constat de Blythe, abandonnée par sa maman à onze ans. Un enfant ou une mère ne naissent pas de nulle part, ils font partie d'une histoire qui va forcément les impacter. Celle de l'héroïne apparaît en filigrane dans ce livre, qui tend à saisir comment une mère naît à elle-même. Au départ, Blythe semble comblée. Elle est amoureuse de son mari, avec qui elle connaît une belle harmonie. Mais l'arrivée de Violet vient tout chambouler. Blythe ne parvient pas à s'attacher à sa fille. Pire encore, elle est persuadée que le bébé la hait. Ce sentiment persistant et grandissant lui empoisonne la vie. D'autant qu'elle ne trouve pas sa place dans la maternité, qui change indéniablement le regard sur soi. « Je me rappelle avoir un jour réalisé l'importance qu'avait mon corps pour notre famille. Pas mon intellect, ni mes ambitions littéraires. Pas la personne que j'étais. » L'aliénation se renforce de jour en jour. « La maternité est ainsi - seul compte le moment présent. Le désespoir présent, le soulagement présent. »
L'épuisement, physique et psychologique, s'installe durablement. Blythe a beau faire des efforts, elle ne parvient pas à tisser un lien avec sa fille « diabolique ». L'arrivée d'un petit garçon accentue davantage le fossé entre elles. Cette fois, l'héroïne semble en adoration devant son enfant. Pourquoi une telle différence ? Inutile d'être Freud pour saisir que ça la renvoie à son enfance défaillante. « Danger. Mort. Une mère pense toujours à ça. » N'empêche que lorsque le drame arrive, il brise tout, y compris le couple sur lequel Blythe s'appuyait. « Nous croyions que nous nous connaissions l'un l'autre. Et nous croyions nous connaître nous-mêmes. » Confrontée à un deuil déchirant, l'héroïne s'enfonce dans le dégoût et la détestation. « Il devait bien y avoir une limite à la tristesse qu'on pouvait éprouver. » Pas sûr...
Traduit par la romancière Julia Kerninon, ce premier roman vertigineux va être adapté à la télévision. Il se veut volontairement dérangeant, afin de plonger dans des plaies taboues, comme le désamour maternel. Cet appel au secours, digne de Lionel Shriver, devrait toucher beaucoup de femmes.
Entre toutes les mères Traduit de l'anglais (Canada) par Julia Kerninon
Lattès
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 21,90 € ; 400 p.
ISBN: 9782709666220