1ER FÉVRIER - ROMAN France

Si cette histoire tragicomique ne se situait pas à Arras, "chef-lieu du Pas-de-Calais » vécu par l'héroïne, Jocelyne dite Jo, comme "épouvantable » parce qu'il ne s'y passe jamais rien, on se croirait dans un film de Robert Guédignian. Avec une Balasko incarnant Jo, la mercière narratrice qui se trouve grosse et moche, et s'épanche sur son blog "Dixdoigtsdor.com" en rêvant, à défaut de "changer la vie", de décider de sa propre vie. En attendant, elle pleure toujours sa mère morte, entoure de tout son amour son vieux père à qui une méchante attaque ne laisse que six minutes de lucidité de temps en temps, et tente de suivre ses enfants devenus grands : la brillante et affectueuse Nadine, qui étudie le cinéma à Londres, et ce blaireau de Romain, un bon à rien.

Et puis surtout, Jocelyne se dévoue entièrement au bonheur de Jocelyn, son mari, dit Jo également, OS chez Häagen-Dazs. Leur couple a sérieusement tangué, après qu'ils eurent perdu un bébé. Jo, imbibé de bière, avait la torgnole facile. Et puis il s'est amendé, ne touchant plus qu'à la Tourtel. Mais leurs rêves divergent : alors qu'elle est cultivée, amatrice de cinéma, de peinture, de littérature et dynamique - son blog fait un tabac et lui amène plein de nouvelles clientes -, qu'elle rêve de découvrir le monde, lui n'a qu'une seule ambition, respectable mais limitée : passer contremaître dans son usine à glaces et s'offrir une Porsche Cayenne !

Tout ce petit monde fonctionne vaille que vaille, jusqu'au jour où les deux meilleures copines de Jo, les jumelles de Coiff'Esthétique, la persuadent que, si elle était riche, ça irait beaucoup mieux. Elle pourrait enfin faire ce qu'elle veut. Jo se laisse tenter, achète un ticket de l'Euromillions. Et gagne, bien sûr, puisqu'on est dans un roman. "Seulement" 18 547 301 euros, soit "1 000 ans de Smic" !

Totalement bouleversée, elle décide de ne révéler sa richesse à personne, attitude confortée par les mises en garde de la psychologue de la Française des Jeux, séance obligatoire lors de la remise du chèque faramineux. Jo se tait donc, et n'encaisse même pas la somme : elle se contente de dresser des listes de ce qu'elle pourrait acheter avec tout cet argent. Emouvantes, ces listes qui rythment le roman, car ce sont les rêves d'une femme humble et droite, qui n'imagine même pas ce qu'est le luxe, et réalise qu'au fond elle aime la vie qu'elle mène, et son Jo, malgré tous ses défauts. Le mari, lui, dans la même situation, céderait beaucoup plus aisément aux sirènes du bling-bling...

On ne révélera pas ici, bien sûr, les rebondissements, imbroglios voire catastrophes que le trésor de Jo va quand même finir par provoquer.

Le Valenciennois Grégoire Delacourt, dont on avait déjà bien aimé le premier roman, L'écrivain de la famille (paru chez Lattès en 2011), s'est bonifié. La liste de mes envies est une excellente parabole sociale, tendance néoréaliste, pleine de tendresse et de fraternité sans tomber dans le gnangnan, de vrais drames aussi sans donner dans le pathos. L'écriture est vive, le ton juste. Quant à la morale, elle rappelle le titre d'une vieille chanson de Téléphone : "Argent trop cher".

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