Vingt jours après la dernière audience du procès intenté par le ministère américain de la Justice à Apple (voir Livres Hebdo 961, 5.07.2013) la juge Denise Cote a rendu son verdict (voir pdf ci-dessous), estimant que le géant de l'électronique a organisé la hausse des prix des livres numériques en neutralisant la concurrence entre revendeurs.
Une autre procédure est à suivre, concernant la fixation des dommages-intérêts que le géant de l'électronique devra verser aux clients lésés. Apple a presque immédiatement annoncé son intention de faire appel.
La décision, publiée le 10 juillet, n'aura pas d'effet sur le marché du livre numérique, les cinq groupes d'éditions également mis en cause dans un premier temps ayant accepté une transaction qui leur coûtera au total près de 200 millions de dollars, à reverser notamment aux acheteurs de livres numériques. Ils ont mis fin aux contrats d'agence qu'ils avaient signés avec l'iBookstore, la librairie numérique du concepteur de l'iPad, et ils ont aussi révisé les accords passés avec les autres revendeurs (dont Amazon, à l'origine de l'affaire) dans le sens souhaité par le ministère de la Justice qui avait assigné Apple, après une enquête du département antitrust.
Bien que les audiences aient plutôt tourné à l'avantage d'Apple, Denise Cote a estimé que le dossier contenait suffisamment de pièces prouvant la machination. Interrogé en tant que simples témoins, les dirigeants des cinq groupes avaient fait profil bas et n'avaient pas lâché leur ancien partenaire, préférant montrer de surprenants problèmes de mémoire pour des cadres de ce niveau, cruellement soulignés par l'avocat du ministère qui projetait des mails contredisant leurs propos à la barre.
"Apple n'a pas seulement rejoint volontairement ce complot, mais l'a vivement soutenu"
«Les ententes illégales se formant en secret, leur preuve consiste rarement en accords explicites», mais s'obtiennent plutôt à partir d'un faisceau d'indices et de déductions tirés du comportement de ceux qui participent à ces ententes, a rappelé la juge. La hausse soudaine et concomitante des prix des livres numériques constitue un de ces indices, corroboré par les contenus de nombreux mails. Les déclarations de Steve Jobs, l'ancien patron d'Apple aujourd'hui décédé, ont aussi pesé: il expliquait tranquillement à son biographe l'organisation mise en place lors du lancement de l'iBookstore, qui devait effectivement aboutir à une hausse des prix.
Apple n'a pas juste profité de l'intense inquiétude que soulevait chez les éditeurs la grande braderie numérique organisée par Amazon. Le ministère «a montré qu'Apple était un membre actif et averti du complot. Apple n'a pas seulement rejoint volontairement ce complot, mais l'a vivement soutenu» insiste la juge. Sans l'action collective que le groupe a entretenue, il est douteux que les éditeurs auraient réussi seuls ajoute-t-elle.
Le contrat d'agence ou la «clause de la nation la plus favorisée», très discutés, ne sont pas illégaux en tant que tels, mais c'est l'utilisation qui en a été faite qui est contestée, pour neutraliser la concurrence sur les prix des livres numériques, et obtenir leur remontée.
«Bien qu'un tribunal se doit de prendre au sérieux l'avertissement que sa décision affaiblirait notre économie, surtout lorsque cet avertissement est formulé par les juristes avisés d'une entreprise respectable, il est difficile de voir comment la concurrence serait mise en danger par les principes rappelés dans cette ordonnance» déclare Denise Cote en réponse aux nombreuses mises en garde lancées à propos de la façon dont elle a conduit ce dossier. «Il est essentiel de se souvenir que la législation antitrust est conçue pour «la protection de la concurrence, et non des concurrents» a-t-elle rudement souligné, comme elle l'avait déjà fait à plusieurs reprises dans ses déclarations précédentes.