Avant-critique Poésie

Antoinette Deshoulières , "De rose alors ne reste que l'épine. Poésies 1659-1694" (Gallimard)

Portrait d'Antoinette Deshoulières gravé par P. Van Schuppen d'après Elisabeth-Sophie Chéron, estampe, 1695. - Photo BNF

Antoinette Deshoulières , "De rose alors ne reste que l'épine. Poésies 1659-1694" (Gallimard)

Une anthologie met enfin l'œuvre d'Antoinette Deshoulières à sa juste place : éminente.

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Par Jean-Claude Perrier,
Créé le 10.06.2023 à 11h00

Belle âme. Comme les voies du Seigneur − avec qui par ailleurs la dame qui nous requiert ici, catholique mariée à un protestant frondeur, entretint une relation compliquée −, celles de la postérité littéraire sont impénétrables. Qu'on en juge : en son temps célèbre, amie (ou ennemie) de tout le gotha de son époque − d'un côté Corneille, La Fontaine ou La Rochefoucauld, de l'autre Boileau et Racine, qu'elle étrilla méchamment lors de la querelle autour de Phèdre en 1677 −, c'est seulement aujourd'hui que Madame Deshoulières (née Antoinette du Ligier de La Garde en 1634 ou 1638, morte en 1694) fait son entrée dans une collection de poche chic et grand public. Elle va pouvoir y séduire jeunes lecteurs et lectrices, lesquels découvriront avec délices une femme mélancolique, souffrante, guère épargnée par la vie (exil, veuvage, pauvreté, cancer), qui célébra cependant l'amour, la nature, les animaux (exemple rare, elle prête à son épagneul Gas certains de ses poèmes). Courageuse, lettrée, virtuose de la rime, elle s'engagea avec fougue dans les débats de son temps (la querelle des Anciens et des Modernes, par exemple), mais fut par-dessus tout authentique.

Souvent sur le ton de l'élégie, c'est une belle âme qui parle : « Hé bien, quel noir chagrin vous occupe aujourd'hui ? / M'est venu demander avec un fier sourire / Un jeune Seigneur, qu'on peut dire / Aussi beau que l'Amour, aussi traître que lui. » Quant à son esprit, Racine, on l'a dit, en fit les frais : « Dans un fauteuil doré, Phèdre, tremblante et blême, / Dit des Vers où d'abord personne n'entend rien ; / Sa nourrice lui fait un sermon fort chrétien, / Contre l'affreux dessein d'attenter à soi-même / [...] Et Phèdre, après avoir pris de la mort aux rats, / Vient en se confessant mourir sur le Théâtre. » Il faudrait tout citer de cette centaine de petits bijoux précieux, dans la lignée du grand Clément Marot, et souvent angoissés : « Hélas ! cruel Amour, que je méprisais tant, / Ces maux ne sont-ils point l'effet de ta vengeance ? »

On peut bien le confesser, jusqu'en 2001, Deshoulières n'était qu'un nom parmi tant d'autres dans nos dictionnaires et histoires de la littérature. Et puis un certain Jean-Louis Murat sortit un album intitulé Madame Deshoulières (Labels/Virgin), choix de ses poèmes dits par Isabelle Huppert et mis superbement en musique par lui. Parallèlement, il publia chez Les Cahiers intempestifs, à Saint-Etienne, des textes de la dame, d'après une édition ancienne qu'il avait découverte et achetée en 1992, sur le marché aux puces de Clermont-Ferrand. Murat, volontiers rétro, avait alors fait partager dans la presse sa passion pour Antoinette. Pas snob, c'est Sophie Tonolo, l'universitaire chargée de la présente édition, qui rapporte l'anecdote et crédite le chanteur. Quand un troubadour auvergnat d'aujourd'hui ressuscite une poétesse du XVIIe siècle.

Antoinette Deshoulières
Gallimard
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 10,10 € ; 320 p.
ISBN: 9782073027412

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