Si "le sanglot de l’homme blanc" n’était pas déjà pris, ç'aurait fait un titre parfait pour ce sixième livre d’Alexandre Kauffmann, écrivain talentueux, attachant et atypique. Ecrit à la première personne, avec un sacré cynisme, un humour acide et une volonté de "sale gosse" de casser tous ses jouets, ce Black Museum est à la fois un récit de voyage décalé sous de tristes tropiques, bousillés par des aigrefins locaux qui exploitent le touriste imbécile, et un examen de conscience sans indulgence dont le héros narrateur ne sort guère grandi. Une espèce d’anti-Tintin en Tanzanie.
Un jour, donc, Alexandre, reporter free-lance anxieux et paranoïaque - peut-être l’un des effets secondaires de ses vieilles addictions à l’alcool et à la coke -, se fait envoyer par un magazine en Tanzanie, dans le pays des Hadzas, une tribu de chasseurs-cueilleurs survivant depuis la préhistoire, et apparemment imperméables au monde contemporain. Ils sont à peine mille, et leur langue "à clics" est incompréhensible. Belle occasion de partir en reportage et de damer le pion à tous ses concurrents : les Hadzas ne sont guère connus que d’un journaliste américain, qui leur a consacré un livre, et de Frank Marlowe, un anthropologue également yankee, qui traîne encore sur place avec son assistante, Caren.
Dès l’abord, le chasseur de scoop va déchanter : les Hadzas sont complètement shootés à la marijuana, pas du tout coopératifs, totalement vénaux ; leurs jeunes portent des casquettes de rappeurs, roulent en moto et ont des téléphones portables. Le Blanc, le Mzungu, n’est pour eux qu’un gogo à plumer, surtout cornaqué par Matayo, un guide bidonneur devenu caïd local au cœur de tous les trafics. Il faudra au narrateur faire preuve de patience et retourner sur place vivre en compagnie de Grace, une photographe, pour trouver enfin un peu d’authenticité et une raison à toute cette aventure. Se faire même quelques vraies relations parmi les autochtones, qui disent de lui : "Je l’aime bien. C’est mon ami. Il me fait rire."
Entre-temps, en France, Alexandre a réglé son problème avec Marie, sa colocataire, une musicienne invivable, radine, parasite et mythomane. Il a surtout rompu les amarres avec son pays d’origine, pour se déraciner, tenter de s’oublier. Mais "on ne part pas", disait déjà Rimbaud. Black Museum est un beau livre mélancolique, qui déconstruit pas mal de nos fantasmes ethnologiques. Les Hadzas, eux, existeront-ils encore dans dix ans ? J.-C. P.