Quels souvenirs avez-vous de votre première Foire de Francfort ?
C’était en 1985, je venais tout juste d’arriver chez Flammarion, j’étais l’outsider totale. Les frères Flammarion avaient pris le pari insensé de recruter quelqu’un qui ne connaissait rien au métier: il me fallait apprendre vite. Tout était nouveau pour moi, mais je n’ai pas eu de mal à avoir des rendez-vous car les éditeurs étrangers m’ont contactée, ils voulaient voir qui était la nouvelle responsable des droits étrangers de Flammarion qui remplaçait Koukla Bonnier (devenue la scoute Koukla McLehose).
J’ai eu des rendez-vous toutes les demi-heure, toute la journée, comme aujourd’hui. J’étais bien sûr un peu intimidée, et je ne pouvais pas imaginer que cette foire de droits serait 10 fois plus grande que le Salon du livre Paris ! Mais il y avait beaucoup de curiosité, je rencontrais les gens, je faisais connaissance avec leurs politiques éditoriales, je pouvais leur poser des questions et j’avais le droit de ne pas savoir… C’était une énorme excitation. J’ai eu la chance que Louis Audibert, éditeur de sciences humaines de Flammarion, me prenne sous son aile, il m’emmenait avec lui le soir dans les cocktails et les dîners. J’ai un souvenir merveilleux de ce premier Francfort. Dans ce milieu international, j’ai tout de suite été parfaitement à l’aise, alors que je ne le suis pas dans le milieu parisien : je suis bilingue anglais, j’ai grandi au Canada et n’ai jamais vécu en France avant l’âge de 23 ans… J’ai eu l’impression d’avoir trouvé le métier qu’il me fallait, littéraire et international.
En 30 ans, qu’est-ce qui a le plus changé dans votre métier ?
Les fondamentaux restent les mêmes: mon métier, c’est de placer le bon livre chez le bon éditeur. Cela implique deux choses : que j’aie lu le livre et que je connaisse l’éditeur, son catalogue et ses goûts. Il en va de ma crédibilité. Et cela sans savoir s’il fera une offre, car beaucoup de critères entrent en ligne de compte ensuite. C’est ce qui fait que je ne me suis jamais lassée de ce métier et que je continue à l’aimer.
Après, beaucoup de choses ont changé. D’abord, une incroyable accélération dans les échanges, grâce aux emails. Il y a trente ans, tout se faisait par lettre, parfois par téléphone, mais il n’y avait ni email ni fax. Ensuite, c’est devenu plus âpre et plus difficile, à cause de la crise de l’édition et de la concentration. Les éditeurs ne restent pas toujours fidèles à l’auteur s’ils n’ont pas amorti leur avance, et les P-DG des groupes donnent des directives. Enfin, après la chute du mur de Berlin, les ex-pays de l’Est se sont ouverts après la chute du mur de Berlin, plus récemment la Chine est montée en puissance... Aujourd’hui, nous faisons aussi des cessions numériques. Mais au fond, il s’agira toujours de permettre à un auteur de démultiplier son lectorat grâce aux traductions, peu importe le support.
Alors que les échanges internationaux et signatures de contrats ont lieu toute l’année, quel sens prend la présence des éditeurs à Francfort aujourd’hui ?
C’est justement parce que les fondamentaux n’ont pas changé que Francfort conserve son importance. La rencontre de visu avec les éditeurs étrangers est irremplaçable. On a besoin de connaître l’éditeur pour affiner le choix des 2-3 livres qui pouront l’intéresser. On lui en parle pour lui donner envie de lire. Je ne suis pas blasée de Francfort ! Cette foire de droits, professionnelle et internationale est un moment absolument crucial dans mon année professionnelle, ça me recharge les batteries. Ce n’est pas une foire de contrats, mais une foire de contacts. On règle des choses, on rencontre les nouvelles personnes, les jeunes éditeurs qui démarrent et sont intéressés par la littérature française. Et tout le monde continue à se retrouver tous les soirs dans le lobby du Frankfurter Hof à minuit pour un dernier verre. Ca reste une semaine exceptionnelle. En octobre, je suis fière d’y présenter la rentrée littéraire de Gallimard. J’ai la chance d’avoir de très bons livres à défendre et promouvoir.