Monsieur le vicomte n’échappe pas à la malédiction qui pèse parfois sur les aristocrates, celle des toits éventrés et des ailes gauches délabrées. Un soir, un cerf surgi inopinément du talus bouleverse la noble mais déclinante destinée du sieur. Pourquoi ne pas créer un zoo autour du château histoire d’y faire venir le chaland ? Après consultation de chasseurs de grizzlis et autres éleveurs de kangourous, le projet se réalise et remplit bientôt les tiroirs-caisses… Seulement voilà, le vicomte, qui a de l’affection pour ses ouailles, ouvre tous les soirs les portes des cages. Résultat, ses hôtes à plumes et à poils mènent la vie de château. Ce qui n’est pas du goût de la belle-mère du vicomte, à cheval sur l’étiquette. Très vite un compromis est trouvé : les animaux peuvent rester au château à la condition qu’ils se plient aux règles de savoir-vivre. C’est en habit qu’ils devront se présenter. Et la panthère de se pâmer sur un sofa en robe du soir, l’autruche d’arborer un chapeau à faire pâlir la reine d’Angleterre et le hibou de parader en veste à épaulettes et galons… Certes l’acculturation n’est pas pour leur déplaire, mais être un animal sauvage le jour et une bête humaine éduquée le soir ne va pas de soi ! Bientôt nos animaux refusent de se montrer "à poils".

Le génial et prolifique Dedieu qui a signé et illustré tout en sépia cette histoire fait mouche avec ses animaux criants d’humanité. On se tord de rire à la vue du pélican qui prend la pose de l’académicien, l’œil plein de morgue et la main - pardon, l’aile - nonchalamment glissée dans la poche de son gilet, ou de l’orang-outan prix Nobel, la plume à la patte et le regard dans le lointain. Quant au rhinocéros qui tient une minuscule fourchette en argent dans sa patte, il est irrésistible. Chaque expression, chaque attitude, chaque pose est si juste qu’on pourrait dire ceci : avec Dedieu, ce n’est pas le diable qui est dans le détail, mais l’humain… Un album fantastique à tous les sens du terme. Fabienne Jacob