Au commencement était l'amitié. Ils se connaissent depuis l'enfance. Le narrateur de ce premier roman signé Théodore Bourdeau, Les petits garçons, qui inaugure la collection « Arpège » chez Stock, et Grégoire sont les meilleurs amis du monde en dépit de leurs différences. Ou grâce à. Les lois de l'attraction, même en amitié, ne suivent pas forcément la logique des miroirs ; les affinités électives sont le plus souvent des complémentarités heureuses.

L'un (le narrateur), timide, se laisse volontiers porter par le cours des événements, et l'autre (Grégoire) a su dès son plus jeune âge ce qu'il voulait : réussir. Avait-il d'autre choix avec un tel géniteur, « dans l'industrie pétrolière », et qui voyage beaucoup ? Grégoire allait préparer « l'Ecole nationale », à savoir l'Ena, dans cette fiction archi-contemporaine où le primo-romancier joue à dissimuler la réalité avec un trousseau de clés assez fourni pour déchiffrer l'univers de la génération Y ou des millennials (qui ont 20 ans à l'aube du nouveau millénaire), une réalité à la fois matérialiste et précaire, sur fond de crise et de confusion des sentiments, doublé de l'angoisse des attentats. On écoute le groupe « le plus triste du monde » (traduire : Nirvana) dont le chanteur finit par rejoindre le « club des 27 », ce cercle de stars mortes en pleine gloire à cet âge fatidique. En France se sont succédé des chefs d'Etat « techno » ; les élections ont lieu, qui portent au pouvoir un homme hors système, Eric Marteleau, entrepreneur libéral, champion de la rupture.

Le narrateur qui appartient, quant à lui, à la classe moyenne cultivée, a des parents aimants et ouverts, toujours satisfaits du choix de leur enfant, du moment qu'il est heureux. Aussi l'indécis s'inscrit-il d'abord en fac d'histoire à cause d'une fille pour le coup très engagée avec qui il sortait. Fin de l'histoire, fin des cours d'Histoire. Parce que la grande affaire, c'est les filles, bien sûr, le sexe. L'adolescence fut une longue quête pour se débarrasser de ce pesant pucelage qu'il traînait à la patte tel un boulet et le faisait claudiquer dans ses rapports sociaux. Louise, Nathalie, Olympe, Malvina, il enchaîne coups de foudre et coups d'un soir. Aventures plus éphémères ou liaisons plus longues, s'il fait l'amour il se sent toujours puceau, car il est vierge d'une vraie passion.

Ce « héros de notre temps », devenu journaliste, n'est pas si perdant finalement. Ou bien si, il est à jamais perdant d'une enfance où lui et son copain Grégoire,  « les petits garçons », n'avaient pas encore perdu leurs rêves.