La vie d’artiste et celle de mère, Julie Bonnie a signé autour de cette confrontation un premier roman remarqué, Chambre 2 (Belfond, 2013, Pocket, 2014), prix du Roman Fnac, en cours d’adaptation au cinéma. Avec Mon amour, l’écrivaine, musicienne et chanteuse, qui a aussi travaillé dans une maternité comme auxiliaire de puériculture, construit ici encore un va-et-vient entre des univers intimement fréquentés.
Le début se présente comme un échange de lettres entre les membres d’un couple provisoirement séparés, peu après la naissance de leur premier enfant. Elle est restée à Paris avec leur fille. Lui, jeune pianiste de jazz dont la notoriété décolle, s’est envolé pour une tournée internationale d’un mois avec son trio. Elle se sent "femme de marin". Il décrit les concerts qui s’enchaînent, la promo. Elle peine à reconnaître son corps métamorphosé par l’enfantement tandis que celui du musicien "crépite d’un mélange d’euphorie, de trac et d’envie d’en découdre". Très vite, leurs vies se décalent. Plus qu’un fil amoureux qui réduirait la distance, les lettres deviennent des journaux parallèles racontant des mondes clos, exigeants chacun à leur façon : pour elle, les heures cotonneuses et indistinctes au rythme du nourrisson, l’apprivoisement, la peur et le ressentiment. Pour lui, sa musique et le fantôme culpabilisant d’un père, virtuose. Bientôt, émerveillements, frustrations et doutes sont impartageables, déconnectés. Les choses tues prennent de plus en plus de place, comme ces autres attaches secourables : une attachée de presse, réconfort des nuits d’après-concerts, et un peintre attentionné mais tourmenté, qui, pour un tableau, cherche à trouver ce "bleu presque noir", la couleur des jeunes accouchées et des jazzmen. V. R.