Dans son journal, le peintre Eugène Delacroix écrit qu'« un ouvrage fini ou complet contient des parties incomplètes ou impossibles à compléter ». Il en va de même de la vie, qui nous joue épisodiquement des tours. Y compris dans les moments de ravissement. Ce récit saisit le narrateur à un tournant, « un nouveau commencement » avec une femme aimée, susceptible d'apaiser sa mélancolie. Afin de parfaire la transition, il est en quête d'un lieu rassurant, trait d'union entre son passé et son présent familial. À savoir une habitation ponctuelle pour lui et sa progéniture, issue d'une précédente union. « Quelque chose de très modeste, mais du genre à porter bonheur. » Ce nid serait aussi son antre d'écrivain, « un ermitage, une cachette où se jouerait ma vraie vie, mon territoire ».

Avec la sincérité qu'on lui connaît, Alain Veinstein précise d'emblée que ce qu'il écrit « n'est pas une fiction. Je pars toujours de faits réels », qu'il restitue à merveille. On l'accompagne ainsi dans cette recherche d'appartement. Étonnamment, son choix se porte sur un taudis peu attirant, mais comment résister au sourire charmant de l'agente immobilière ? Est-ce vraiment rue Brézin que son destin va s'ouvrir à « une vie possible » ? L'auteur va se donner tous les moyens pour transformer ce bourbier en lieu rêvé. Aussi compte-t-il sur son ami, Joerg Ortner. Cet artiste extraordinaire est « une de ces rares personnes capables de faire sortir quelque chose du néant ». Ici, il est servi, mais plus Joerg avance dans son travail, plus la tâche devient labyrinthique. « Chaque fois que je passe la brosse sur un mur, j'ouvre une blessure. » Bientôt dépassé, l'auteur ne sait plus comment freiner les dégâts. Impossible de s'attaquer frontalement à son ami. Chacun pressent une fin cataclysmique, mais cet étrange tango se poursuit dans les dédales de ce projet titanesque. « Un artiste connaît plus de défaites que de victoires. On ne lâche rien », puisqu'il s'agit de trouver « l'énergie de poursuivre et, en fin de compte d'exister ».

Le silence, au cœur du travail de Veinstein, s'impose aussi ici, dans cette relation. Mais au-delà de la reconstruction d'un logement, l'auteur nous livre une belle réflexion métaphorique sur les chantiers indescriptibles de l'écriture et de l'amour.