Entretien

Agnès Ledig : « J'ai une conscience écologique très ancrée »

Agnès Ledig - Photo Pascal Ito

Agnès Ledig : « J'ai une conscience écologique très ancrée »

Avec trois millions d’exemplaires vendus et des romans traduits en 19 langues, Agnès Ledig s’est hissée au panthéon des auteurs les plus lus des Français. Après les violences conjugales, la monoparentalité, le deuil, l’homosexualité ou encore le handicap, son dixième roman, Répondre à la nuit (Albin Michel) embrasse la cause écologique et envisage la « féralité possible de l’homme ».

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Par Julie Malaure
Créé le 24.01.2025 à 17h38

Livres Hebdo : Vous prenez fait et cause pour la défense de la nature dans Répondre à la nuit. Cela a-t-il toujours été une préoccupation ?

Agnès Ledig : Il y a toujours eu de l'écologie dans mes livres, mais il est vrai que j’ai lentement glissé vers le lien qui unit l'humain à la nature. Je vis moi-même en lisière de forêt, je suis issue d'une famille écolo. J'ai donc une conscience écologique très ancrée, mais c'est face à l’urgence climatique et l'inaction que j'ai décidé d'utiliser ce que je fais, écrire, pour combattre.

Dans le roman écologiste on s’attend à trouver un plaidoyer contre la chasse. Ce n'est pas le cas, pourquoi ?

Parce que je suis effarée par la polarisation de la société. Si on n'est pas pour, on est contre… et moi je trouve ça ridicule ! Chez nous, dans les Vosges, comme dans le livre, nous sommes confrontés à la chasse et nous avons choisi le dialogue plutôt que la confrontation. Ça fonctionne très bien. En revanche, je suis opposée à certaines pratiques cruelles, voire illégales. Un de mes personnages adopte mon point de vue dans le livre : un animal va peut-être moins souffrir d'être abattu de façon précise, dans une pratique juste et éthique de la chasse, qu'un animal enfermé dans un élevage industriel, transporté de façon indigne dans un abattoir.

« Je suis comme Idéfix, je pleure chaque fois qu'un arbre tombe »

Vous prenez pour fil d’Ariane Le mur invisible, un roman de 1963 signé Marlen Haushofer. Qu’en avez-vous tiré ?

C'est un livre incroyable, l'héroïne est bloquée dans la nature par un mur de verre. Elle doit survivre en chassant. Elle dépasse son aversion pour tuer un animal lorsqu'il est blessé ou pour assurer sa propre survie. Ce que j'ai retenu de ce livre c'est sa capacité à revenir à l'essentiel. Elle n’a rien, se débrouille avec ce qu’elle trouve dans la nature pour survivre. Ça la ramène bien sûr à son côté sauvage. J’ai entendu l’artiste et écrivaine Claudie Hunzinger parler en ce sens de « féralité ». Ce mot signifie le retour d'une espèce domestiquée à l'état sauvage. Et je trouve ça très beau, peut-être qu'on sera obligé d'y revenir nous-même un jour.

Le « méchant » de votre histoire cristallise tous les vices, la cruauté, la violence, masculinité toxique, et en plus, il est capitaliste. C'est très polarisé cette fois.

Des hommes comme ça, ça existe ! Je n’ai pas l'impression d'être caricaturale. Et je parle de ses failles intimes. Ça n'excuse rien, mais permet de comprendre. Je l'ai fait directeur d’une scierie parce que la question des forêts est fondamentale. Je dénonce les coupes rases qui sont absolument aberrantes. Ce personnage traite la nature comme une exploitation commerciale, or je défends qu'il faut vivre avec elle, dans le respect, sinon on court à la catastrophe. En plus, je suis comme Idéfix, je pleure chaque fois qu'un arbre tombe…

Vos fans vont avoir la joie de retrouver certains personnages ?

Ce n’est pas une suite, mais on retrouve les personnages de mon livre précédent, Un abri de fortune. Cela fait quatre romans que je reprends certains personnages, un peu comme dans La Comédie humaine de Balzac. Des principaux deviennent secondaires, ou inversement. Pour les nommer, on retrouve Rémi, Adrien, Capucine et Clémence.

« Je voulais renouveler l’exercice avec un cadavre et aussi sortir de la case feel good dans laquelle je ne me retrouve pas »

Derrière votre héroïne, Thémis, tatoueuse, on reconnaît la déesse chasseresse Artémis. Que vous apporte ce zest de mythologie ?

J’emprunte ce personnage qui vient de loin, et je l’emmène à notre époque pour montrer que rien n'a changé. Artémis, Diane chez les Romains, est une femme rebelle, qui veut un arc comme les hommes, qui va devenir la protectrice de la forêt et des animaux qu’elle abrite. Artémis chasse, mais ne supporte pas la souffrance animale. Elle va aussi vouloir, c'est important dans mon histoire, rester vierge. Ce qui me permet, à travers Thémis, de parler d'une histoire d'amour fou. Un amour qui frappe malgré eux deux êtres, les terrasse, mais qui vont choisir de ne pas briser leurs vies respectives.

On trouve un amour hors du temps, mais aussi un meurtre. Le polar vous tente ?

Cela ne concerne que la seconde partie du roman, mais oui, il y a une enquête. Parce que je suis folle de polar. Fred Vargas, Olivier Norek, Bernard Minier, j'adore. Je voulais renouveler l’exercice avec un cadavre et aussi sortir de la case feel good dans laquelle je ne me retrouve pas.

Comment vous êtes-vous retrouvée étiquetée feel good ?

On m'a mis dans cette case en 2013 avec mon deuxième roman, Juste avant le bonheur, qui parle du décès d'un enfant et a reçu le prix Maison de la presse. Est-ce qu’on considère que je suis feel good parce qu'il y a de l'espoir dans mes histoires ? Est-ce que c'est pour ça que mes livres font du bien ? J'ai envie de dire non, parce que dans ce cas tous les livres sont feel good. Au sens où cela fait du bien de lire, tout simplement. J'écris des histoires sombres, mais cela fait du bien parce que personne ne lit pour se faire du mal.

Vous avez glissé un étonnant QR code à la fin de l’ouvrage, qu’y trouve-t-on ?

On y entend tous les sons des animaux du roman. Au départ, je voulais faire avec les sons ce que Süskind est parvenu à faire avec l’odorat dans Le Parfum. Je suis allée consulter un audio-naturaliste, et on s'est arraché les cheveux pour tenter de décrire les sons animaliers avec des mots. Ce QRcode répond en quelque sorte à cette ambition initiale.

 

Répondre à la nuit, d’Agnès Ledig,
Albin Michel, 352 pages, 22,90 euros.
Sortie le 3 février 2025
EAN : 9782226478955

 

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