Il y en a toujours eu, ou presque. Cro-Magnon chercha sans doute à savoir ce que manigançait Néandertal. Mais dès l’Antiquité, dès l’invention de l’écriture, il a fallu faire passer des messages sans que d’autres puissent les lire. La formidable saga concoctée par Rémi Kauffer commence donc chez les Grecs et s’achève avec les grandes oreilles américaines de la NSA. Déjà auteur d’une Histoire politique des services secrets français avec Roger Faligot et Jean Guisnel (La Découverte, 2013) et d’une Histoire mondiale du renseignement au XXe siècle avec Roger Faligot en deux volumes (Robert Laffont, 1993-1994), ce spécialiste explore ce territoire de l’ombre depuis plus de trente-cinq ans.
Pourtant, malgré la technologie qui s’est emparée de cette "profession", c’est moins le technicien qui est mis en valeur dans cette Histoire mondiale des services secrets que ces hommes et ces femmes qui ont écrit cette aventure avec leur sang, au prix le plus souvent de leur vie. Ce grand récit chronologique qui décrit les techniques, les outils, les métiers et la suspicion des politiques à l’endroit de ces services qu’ils ne contrôlent pas toujours s’arrête donc sur de nombreux faits ou des personnalités marquantes.
On apprend ainsi que Mata Hari "en tant qu’espionne avoisinait le zéro pointé", contrairement à la mythique "Fraulein Doktor" qui préfigure Marlene Dietrich dans L’Ange bleu, que John Ford a appartenu à l’OSS américain, que Greta Garbo fut à l’origine d’une opération du SOE britannique dans la bataille de l’eau lourde, que le roi Hussein de Jordanie fut un "allié privilégié voire un agent de la CIA" ou que l’ancien Premier ministre israélien Ehoud Barak se déguisa en femme lors d’un raid des forces spéciales en 1973, etc. Les écrivains ne furent pas en reste. Shakespeare et Christopher Marlowe travaillèrent pour Elisabeth Ire, Beaumarchais pour Louis XVI et Lawrence d’Arabie pour sa gloire au moins autant que pour l’indépendance arabe.
Les anecdotes, les portraits cocasses font de cette histoire un grand récit des agents doubles, d’influence ou très spéciaux où il est question d’opérations, d’infiltrations, de cryptologie et d’écoutes en tous genres. Le plus difficile dans cette montagne d’informations, c’est désormais de faire le tri. Et pour cela, l’ordinateur n’a pas encore remplacé l’espion sur le terrain. Car si désormais tout le monde écoute tout le monde, qui comprend quelque chose à ce qu’il intercepte ? Rémi Kauffer rappelle qu’en 1941 comme en 2001 la CIA disposait de toutes les informations pour éviter le désastre de Pearl Harbor ou les attentats du 11-Septembre. L. L.