"Ce que tu recherches est partout et nulle part." Alors Christos Chryssopoulos s’empare de sa plume pour explorer les remparts que l’homme érige face à la dévastation ou à l’incompréhension. Traducteur, essayiste, chroniqueur, romancier et membre du Parlement culturel européen, il s’inscrit parmi les voix littéraires qui comptent aujourd’hui en Grèce. La collection documentaire d’Arte "L’Europe des écrivains" (voir le film de Nicolas Autheman et Raphaëlle Rérolle) l’avait d’ailleurs choisi pour incarner la nouvelle génération de son pays.
Cet enfant d’Athènes, né en 1968, porte sa ville en lui. Chryssopoulos y a fondé un festival autour de la littérature et des arts de la scène, qui a disparu faute de moyens. La cité hellénique est également présente dans sa "chronique athénienne" Une lampe entre les dents ou dans La destruction du Parthénon. Une œuvre ambitieuse et réfléchie, dans laquelle il mêle fiction et "socle du réel".
Cette fois, il change de décor dans un petit roman brillant, La tentation du vide. Williamstown, une bourgade américaine, "grandit à l’écart du chaos du monde". Tout y est si paisible qu’on y frise l’ennui. Mais, par une nuit terrible, "quatorze coups de boutoir bouleversèrent la ville". Au petit matin, divers foyers font une découverte macabre : le suicide de leurs enfants. "La mort d’un jeune paraît intolérable, parce qu’elle frappe sans prévenir et nous ouvre brutalement les yeux" quant à notre vulnérabilité.
Il déconstruit l’événement avec une telle douceur qu’on en oublierait presque l’horreur. Chaque suicide est mis en scène comme un tableau. Ainsi, chez les Malorin, "deux plantes de pied se balançaient dans la pénombre tels des papillons blancs". Une ambiance à la Virgin suicides de Sofia Coppola, qui donne froid dans le dos. Cette tragédie, nourrie de quatorze tétées de Thanatos, est digne du conte des frères Grimm Le joueur de flûte de Hamelin laissant un village orphelin.
Chryssopoulos ne se contente pas de saisir le pourquoi, il mène l’enquête en révélant ses dessous métaphysiques. Son roman, à première vue décousu, est découpé de façon étonnante et élaborée. Si le récit de la petite Betty est tourné vers "le monde des âmes", celui d’Antonios Pearl suit l’histoire des Etats-Unis. L’obsession de la mort, le puritanisme, la religion ou la manipulation des esprits rejoignent des thématiques hautement d’actualité. "Comment se sentir libre au milieu du néant ?"
Kerenn Elkaïm