Avec environ un million de titres numériques, la France est l'un des premiers pays de l'Union européenne concernés par l'accessibilité du livre numérique. La directive européenne 2019/882 du 17 avril 2019 impose en effet que les e-books et logiciels spécialisés, les sites de commerce en ligne et les liseuses soient accessibles dès juin 2025 à une partie des personnes empêchées de lire par un handicap.
Pour les romans, la poésie ou les documents, l'exercice semble simple, mais leur réalisation doit malgré tout respecter certaines règles et contenir certains éléments, afin de pouvoir rendre le livre numérique lisible par d'autres sens que la vue. Le groupe Normes et Standards du Syndicat national de l'édition (SNE) a travaillé dès 2020 à l'élaboration d'un cahier des charges technique afin d'aider les éditeurs à produire des EPUBs « textuels » nativement accessibles.
« En France, on est plutôt en avance »
Le contenu peut être lu par un logiciel, avec une voix de synthèse ou avec un bloc braille. La technologie d'assistance s'intercale entre le système d'exploitation et le logiciel de lecture. Le premier écueil à éviter est le format du fichier : l'outil de lecture ne peut pas lire des ouvrages scannés puisque le texte n'est pas sélectionnable. Deuxième écueil : l'ordre de lecture logique. Un texte se lit généralement de haut en bas mais pour des livres pratiques ou des magazines, des éléments sont dans des blocs. Il faut alors préciser à l'outil l'ordre de lecture logique, variable d'une page à l'autre. Les tables des matières, les annexes, les index doivent également être considérés de façon particulière, et le programme informatique doit pouvoir différencier un titre d'un sous-titre. Il faut ainsi être attentif à ces éléments lors de la conception et la fabrication du livre.

« En France, on est plutôt en avance, estime Gautier Chomel, responsable de projet à l'European Digital Reading Lab (EDRLab), l'inter-profession est mieux structurée qu'en Allemagne, et on a la particularité d'avoir depuis une dizaine d'années une commission numérique au sein du SNE. »
« Les éditeurs se préoccupent de l'accessibilité depuis longtemps, confirme Fernando Pinto da Silva, expert en usage numérique pour la Fédération des aveugles et amblyopes de France et qui a mené une étude publiée sur le sujet par le ministère de la Culture en janvier 2025. Le SNE s'en est emparé en 2016, donc bien avant la publication de la directive européenne. » Ainsi, Hachette a mis en place des outils pour vérifier l'accessibilité du livre dès sa conception et tout au long de la chaîne de fabrication et de diffusion. Mais les pratiques restent très liées aux marques et à leur processus interne, certaines maisons d'édition embarquant même les outils d'accessibilité sans le savoir, parce que leur compositeur les intègre.
Dans le but d'homogénéiser la chaîne du livre, le référentiel Qualebook, réalisé en partenariat avec l'EDRLab, et présenté par le SNE lors des dernières Assises du livre numérique, propose un cadre commun de fabrication de livres numériques de qualité et accessibles nativement. L'EDRLab a également conçu le site lina25.fr à l'intention des professionnels, avec la coopération des sociétés Immateriel, Isako, Kamael, Nord Compo et Tite Live. « Aujourd'hui, beaucoup de livres épuisés restent disponibles en e-book, rappelle Gautier Chomel, Les travaux menés sur l'accessibilité numérique sont l'occasion de créer des ouvrages de meilleure qualité, et offriront un gain en termes d'archivage et de stockage qui profitera à tous les lecteurs. »

De plus grandes difficultés pour les livres illustrés
Les collections qui contiennent des images posent toutefois encore des problèmes, car même si les éditeurs utilisent de l'IA, l'action humaine reste indispensable (et chronophage) : chaque visuel doit être décrit par un auteur ou un éditeur. Cela peut soulever la question de la légitimité de l'image, celle de la subjectivité de sa description, ou sa pertinence, lorsque dans les manuels scolaires, décrire le visuel apporte la réponse à un exercice.

L'accessibilité numérique est particulièrement complexe pour le secteur des livres illustrés, la BD, le manga et les romans graphiques. « Au début, l'Arcom tenait à ne pas les exempter de cette obligation, explique Bertrand Thiry, administrateur des ventes dans le service de diffusion numérique au sein de Média Diffusion et membre de la commission numérique du SNE, mais le dialogue a été constructif et la position de l'Arcom a évolué. » Après dix-huit mois d'échanges, les éditeurs spécialisés ont pu convaincre l'autorité de régulation que leurs ouvrages entraient dans le cadre de deux exemptions prévues, celle de la charge disproportionnée et celle de la dénaturation de l'œuvre. « L'accessibilité numérique des BD est un travail énorme, mais elle est problématique également par rapport au droit d'auteur et au travail des illustrateurs et des scénaristes, que nous devons préserver, précise Nazeli Kyuregyan-Baron, responsable du pôle CRM & Data B2C chez Média-Participations. Découper une planche modifie la narration et décrire entièrement les dessins transformerait l'ouvrage en audio-livre. On est dans l'adaptation, pas dans l'accessibilité. »

Même s'il lui a fallu attendre la publication du décret en 2023 pour en connaître les modalités, les travaux préparatoires menés par la commission du SNE dès l'annonce de la directive ont été précieux et ont permis aux éditeurs de montrer leur bonne volonté. « La participation à ces commissions se fait sur la base du volontariat et du bénévolat, rappelle Nazeli Kyuregyan-Baron, responsable Pôle CRM & Data B2C chez Média-Participations, les éditeurs sont dans le partage : si l'un de nous trouve un logiciel ou un process performant, il en informe ses confrères. Notre objectif à tous reste de rendre les BD accessibles au plus grand nombre. Actuellement, le texte des bulles n'est pas détectable par les programmes de lecture car il est identifié en tant qu'image et nous testons des logiciels pour permettre à une partie du public empêché de lire, par exemple, les personnes malvoyantes, de lire les BD. »
Reste la queue de la comète : la prise de conscience du côté des diffuseurs, des distributeurs, et des institutions publiques. Malgré une obligation légale datant de 2012, seulement 1,18 % des bibliothèques municipales affichent leur accessibilité, alors qu'elles sont fréquentées par 16 à 20 % de la population. « À quoi ça sert que les livres soient accessibles si on ne peut pas les trouver parce qu'ils sont dans une librairie ou une bibliothèque qui reste inaccessible ? s'interroge Fernando Pinto da Silva. C'est très frustrant pour les professionnels qui y ont consacré du temps et de l'énergie ! Or pour les collectivités, le livre numérique n'est pas un sujet, et qu'une partie du public n'y ait pas accès n'en est pas un non plus, contrairement au Canada, où les bibliothèques publiques ont beaucoup plus de pouvoir et sont motrices. » Les éditeurs de portails de bibliothèques auront donc un rôle important à jouer en intégrant l'accessibilité dans leur offre.