50 ans de célébration éditoriale

Etudiantes à Nanterre avec un numéro d’Action, journal militant lancé le 7 mai 1968. Illustration de Mai 68, l’envers du décor de Bruno Fuligni, qui paraît chez Gründ. - Photo Michel Robinet/Grund

50 ans de célébration éditoriale

Le changement de nature des ouvrages produits sur Mai 68 à chaque décennie témoigne de l’évolution du regard sur les événements.

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Par Laurent Lemire
avec Créé le 13.04.2018 à 01h57

Dès 1968, puis tous les dix ans, le livre a été le vecteur d’un regard sur les événements de Mai. Mais l’approche éditoriale n’a cessé d’évoluer au fil du temps, de l’analyse à chaud à la transformation de Mai 68 en fait social global.

1968: le bilan à chaud

Les acteurs de Mai 68 ont vite saisi l’importance du mouvement auquel ils ont pris part. Sa médiatisation rapide permet aussi d’en contrôler l’image et donc l’histoire. Les ouvrages sur Mai fleurissent dès juin. Jacques Sauvageot, Alain Geismar et Daniel Cohn-Bendit publient La révolte étudiante, les animateurs parlent (Seuil). Daniel Bensaïd et Henri Weber, proches d’Alain Krivine, Mai 1968, une répétition générale ? (Maspero). Côté témoins, Jean-Jacques Servan-Schreiber, Raymond Aron ou Robert Serrou proposent leurs analyses au Terrain vague, chez Gallimard et Robert Laffont. D’autres tentent à chaud de saisir le moment pour l’envisager dans la durée. Edgar Morin signe avec Claude Lefort et Jean-Marc Coudray Mai 1968, la brèche : premières réflexions sur les événements (Fayard). A la fin de l’année 1968, on dénombre 32 nouveautés et l’on voit apparaître de nouveaux éditeurs tels 10/18, Champ libre ou Lattès.

1978: droit de suite

Dix ans plus tard, les protagonistes et les observateurs de cet épisode singulier de l’histoire de France doivent montrer qu’ils ont non seulement de la suite dans les idées, mais que ces idées ont une suite. C’est l’heure des premiers bilans avec Raymond Marcellin vu de l’Intérieur (L’importune vérité, Plon) et Régis Debray côté pavé (Modeste contribution aux discours et cérémonies officielles du dixième anniversaire, La Découverte). Maurice Grimaud, le préfet de police de Paris lors des manifestations, offre une position médiane dans ses Mémoires, En mai, fais ce qu’il te plaît (Stock). Edgar Morin demeure fidèle à sa position d’observateur en transformant le Mai en Mais (Oswald). Le témoignage et l’analyse demeurent les piliers sur lesquels se construit la mémoire collective.

Alors que Cohn-Bendit est toujours interdit de séjour en France, on ressort les affiches pour la première fois. Mai 68 se montre comme une libération de l’art en accompagnement de celle de la parole.

1988: la génération 68

En 1988, parmi les nouveautés, Henri Weber publie Vingt ans après : que reste-t-il de 68 ? (Seuil). Avec ce bilan, la notion de génération 68 surgit, appuyée par la parution du deuxième tome de Génération d’Hervé Hamon et Patrick Rotman consacré aux "années de poudre" (Seuil). C’est le cycle du "que sont-ils devenus?" qui se poursuit après la publication en 1986 chez Albin Michel de la Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary de Guy Hocquenghem. Avoir eu 20 ans au Quartier latin ne suffit plus comme brevet de révolution.

Le mouvement est largement présenté dans les textes et documents du Journal de la Commune étudiante (Seuil) publiés par Alain Schnapp et Pierre Vidal-Naquet dans la collection "L’univers historique". Dans ses Chroniques de Mai 68 (Deux temps-Tierce), la romancière canadienne Mavis Gallant constate que les ventes de livres ont augmenté de 40% durant ce printemps. Edgar Morin est toujours là avec ses compagnons philosophes. Mai 68, la brèche est republié, suivi de Vingt ans après (Complexe).

1998: rappel des vétérans

En 1998, c’est l’explosion. L’abondance de la littérature sur le sujet doit finir par rendre Mai 68 intéressant. Les événements deviennent ceux d’une "génération", pour reprendre le titre du best-seller d’Hamon et Rotman qui sort en poche pour l’occasion. Les anciens de cette "génération", eux, bougent toujours et ils le font savoir, même si ce n’est pas là où on les attend. Parmi les 83 nouveautés, on remarque les entretiens de Daniel Cohn-Bendit (Une envie de politique) ou l’essai de Jean-Pierre Le Goff (Mai 68, l’héritage impossible), tous les deux à La Découverte. Edouard Balladur reste quant à lui perché dans son pompidolien Arbre de mai (Plon).

Pourtant, "mai 68 fait un bide en librairie", comme le souligne Livres Hebdo en 1998. Les professionnels dressent un bilan négatif de la commémoration. "Un, les livres sur Mai 68 se sont mal vendus. Deux, ils n’ont intéressé que les vétérans du mouvement étudiant et pas du tout les jeunes." Seul dans cette atmosphère morose, Le pavé de mai 68 chez Michel Lafon tente de faire vivre l’esprit contestataire avec Siné, Wolinski, Gébé, Willem, Cabu, Delfeil de Ton, Cavanna et les autres.

2008: l’entrée dans l’histoire

Dix ans après, l’échec des 30 ans a échaudé les éditeurs. Avec deux nouveautés supplémentaires, le compteur commémoratif s’arrête à 85. Il faut y ajouter les numéros spéciaux de revues et de magazines. Une pièce de théâtre pour la jeunesse de Didier Debord publié au Griffon bleu donne le ton: Papi était hippy. Le temps est venu d’observer ces grands-parents dont la jeunesse fut si agitée. Le débat organisé dès janvier à la villa Gillet à Lyon entre Luc Ferry et Daniel Cohn-Bendit résume le questionnement général: "que reste-t-il de 68?".

Mais que faut-il penser d’un événement dont on se demande périodiquement ce qu’il en reste plutôt que de l’examiner en profondeur? Les représentations successives de Mai 68 ont fini par dépasser l’événement lui-même. La cerise de cet anniversaire sans gâteau est le témoignage d’Alain Geismar. Dans Mon Mai 68 (Perrin), l’ex-secrétaire général du Syndicat national de l’enseignement supérieur (SNESup) revient pour la première fois sur son expérience politique. Les autres leaders se demandent s’il ne serait pas temps de passer à autre chose et de laisser les historiens plonger dans la montagne de documents encore inexploités. Ces derniers comme Jean-François Sirinelli, Michelle Zancarini-Fournel et Philippe Artières interrogent l’hypothèse d’une "génération". Mais surtout, on voit émerger des approches du mouvement: dans le Lot-et-Garonne, le Languedoc, au Pays basque, en Normandie. Alors que les héros sont désormais fatigués, que quelques-uns sont morts, l’historicisation de Mai 68 peut commencer. L. L.

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