La signature de contrats avec Google, initiée en France par Hachette, a permis d'apaiser les hostilités sur un front. Il est vrai que Google, après avoir joué avec les zones grises de la propriété intellectuelle, a besoin de celle-ci. En août 2011, Google annonçait en effet l'acquisition de Motorola Mobility pour 12,5 milliards de dollars (9 milliards d'euros). L'acquisition permettait notamment de mettre la main sur plus de 17 000 brevets, arme redoutable dans la concurrence qui l'oppose à Apple et Microsoft. La propriété intellectuelle, arme fatale de Google ? L'histoire est pleine de retournements intéressants. Pendant ce temps, Amazon poursuivait son double chemin, celui de l'expansion et celui de l'intégration verticale. L'expansion, c'est la conquête de parts de marché de plus en plus fortes sur le papier et le numérique : la stratégie revient à une croissance de l'entreprise avec diversification de ses activités, dans une marche coordonnée vers une domination du marché dans ses deux composantes, le livre physique et le virtuel.  L'intégration verticale consiste en la prise de positions sur toute la chaîne du livre. Amazon était déjà un remarquable prescripteur, sans qu'il lui en coûte grand-chose. Il suffisait de tabler sur les recommandations des lecteurs/acheteurs et sur le fameux algorithme permettant de savoir d'un clic ce qu'ont acheté ceux qui ont acquis le même titre. L'intégration verticale, c'est aussi la vente des matériels qui assurent une sorte de capture des comportements d'achat du consommateur. Le troisième temps de l'intégration verticale se joue dans la figure attendue mais inquiétante d'Amazon éditeur : on annonce aux Etats-Unis la publication par Amazon de 122 livres cet automne, des livres de différents genres, proposés sous forme papier et numérique. Il s'agit d'attirer des auteurs d'autant plus précieux aux éditeurs qui les ont lancés qu'ils sont à présent connus. Dans un article du New York Times *, l'agent américain Richard Curtis note ainsi : «  si vous êtes libraire, Amazon vous fait concurrence depuis un bout de temps. Si vous êtes éditeur, un jour vous vous réveillerez et verrez qu'Amazon vous fait concurrence. Et si vous êtes un agent, Amazon va peut-être vous voler votre nourriture car il offrira aux auteurs la possibilité de publier directement leurs ouvrages et de se passer de vous  ». Face à cette force d'attraction, la loi ne peut rien. En focalisant les efforts sur une loi sur le prix unique n'a-t-on pas oublié de regarder de près un mouvement bien plus inquiétant ? Sur Internet, les attentions sont d'autant plus difficiles à retenir que l'offre est massive et dispersée. L'avantage comparatif d'Amazon est considérable : l'offre est colossale, mais elle est rassemblée. Amazon peut s'offrir le savoir-faire de l'éditeur comme bien d'autres compétences nouvelles. Sa force de frappe est aussi liée à la capacité d'informer l'auteur en temps réel des achats auxquels son ouvrage a donné lieu. Amazon vise les best-sellers mais pourrait se développer sur des marchés de niche, dans des logiques de longue traine mises en évidence depuis quelques années. Faut-il en conclure à l'inéluctable croissance du géant américain ? Croissance oui, monopolisation, pas nécessairement. Et cela pour deux raisons : la première relève des limites imposées par le droit de la concurrence. La seconde renvoie aux caractéristiques des métiers du livre, où le rapport direct de l'auteur à son éditeur tient encore une place assez grande pour justifier quelques contre-tendances à la croissance sans fin d'Amazon. Mais cela implique sans doute une révision des rapports entre certains éditeurs et leurs auteurs, dans le sens de la transparence ou du partage de la valeur. Ajoutons que la création initiale de notoriété repose sur des réseaux qu'il faut patiemment bâtir. Ce n'est pas le métier d'Amazon, dont les réseaux demeurent impersonnels. On peut toujours imaginer la firme en prédateur ex post de la notoriété construite par d'autres, comme c'est déjà le cas. Les contrefeux ne tiennent alors qu'aux relations qui lient les différents maillons de la chaine du livre et qui fondent la qualité finale et la réception du texte. La fabrication d'un livre tient à une chaine de compétences bien plus qu'à la seule plume, fût-elle virtuelle, de l'auteur seul devant sa machine, puis seul en face d'Amazon. _____ * David Streitfeld, « Amazon signs up authors, writing publishers out of the deal », New York Times , 16 octobre 2011.  
15.10 2013

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