Livres Hebdo : Dans les années 1980, vous publiez un album avec Hervé Jenfèvre. Déçus de l’expérience éditoriale, vous décidez alors de créer Bamboo Editions qui, aujourd’hui, fête ses 25 ans.
Olivier Sulpice : Avant Bamboo Editions, je tenais avec Hervé l’agence d’illustration Bamboo Graphic. On a proposé nos gags à plusieurs magazines de bande dessinées, mais tous nous ont refusé. On a donc soumis nos dessins à des magazines spécialisés, comme L’Echappement sur l’automobile, ou VTT Magazine. En 1996, un éditeur a repris nos pages, mais le suivi éditorial nous a beaucoup déçu. J’ai donc voulu créer ma propre maison d’édition, dans laquelle Hervé est resté auteur. A l’époque, j’étais jeune et je n’avais pas vraiment d’argent. J’ai dû obtenir une autorisation de découvert dans trois à quatre banques pour créer Bamboo Editions mais je n’ai jamais voulu avoir de regrets !
Vous avez aussi débuté sans diffuseur...
C’est un peu ce qui a fait l’ADN de Bamboo. Je n’avais pas de plan. La seule chose que je savais faire, c’était du gag en une page. On a donc fait des bandes dessinées à thème pour des journaux d’assurance, de gendarmerie ou de football avec Decathlon. J’allais voir les libraires un par un. Je n’avais pas le choix mais finalement, je crois que les contraintes nous permettent d’être meilleurs. Si j’avais eu un diffuseur dès le début, je n’en serais sûrement pas là aujourd’hui. Ce n’est qu’au bout de deux ans qu’on a eu un petit diffuseur régional. Trois ans plus tard, on était diffusé par Interforum. Puis il y a eu Delsol, le diffuseur de Delcourt et enfin, Hachette.
Votre premier succès arrive au début des années 2000, avec le premier tome de ce qui deviendra Les Profs, série écoulée à plus de six millions d’exemplaires depuis sa création. Pouvez-vous nous raconter ?
C’était en 1997, plus exactement. On faisait déjà des BD sur les métiers et les fonctionnaires. D’ailleurs, j’ai toujours préféré les communautés aux héros solitaires. Parler des profs, c’était une idée à laquelle on avait déjà pensé avec Hervé. Je n’ai jamais été très bon à l’école, j’avais sûrement des comptes à rendre (rires). Puis un jour, je suis tombé sur un numéro du Journal de Mickey qui parlait des profs, avec des dessins de Pierre Tranchant (Pica) et d’Erroc. J’ai donc harcelé les auteurs. Ils ont fini par accepter de travailler avec nous et la mise en place, fixée à 4000 exemplaires, est montée jusqu’à 15 000. L’album a même reçu un prix à Angoulême. Au fil des années, c’est devenu une série culte, adaptée au cinéma en 2013 par Pierre-François Martin-Laval.
« Sur ces cinq dernières années, on a doublé notre chiffre d'affaires »
Depuis, vous avez fait du chemin. Quel bilan dressez-vous ?
A l’époque, le tournant s’était fait avec Interforum. On a commencé à publier d’autres auteurs que j’avais moi-même rencontré, en tant qu’auteur, sur des salons. Surtout, on a pu développer nos premières collections, Bamboo Humour, Sport, Kid, mais aussi Grand Angle, et le label manga « Doki-Doki », dirigé par Arnaud Plumeri. C’est ce qui a rendu Bamboo Editions généraliste. En 2016, notre croissance s’est externalisée avec le rachat d’une partie des parts du magazine mensuel Fluide Glacial. Après deux ans très compliqués, on a racheté l’intégralité à Gallimard et on a remis à la tête du journal Jean-Christophe Delpierre.
Il y a cinq ans, vous fêtiez déjà vos 20 ans en grandes pompes.
Il fallait marquer le coup. D’abord, il y avait eu la création de notre propre diffuseur, Bamboo Diffusion, auquel peu de gens croyait mais qui est désormais cité comme un modèle par Hachette. Ensuite, nous avons augmenté notre taux de droits d’auteurs qui frise les 14%, dont 1% pour les coloristes à partir de 14 000 exemplaires, sans toucher à ce que gagnent les auteurs. C'était très important pour nous de placer l'auteur au centre de notre activité. Il y a aussi eu le rachat de Fluide Glacial, la création de « Drakoo », label indépendant sur la fantasy géré par Christophe Arleston, de nouveaux bâtiments pour notre siège social à Charnay-lès-Mâcon et enfin le cinéma, avec Bamboo Production et Bamboo Films. On y travaille depuis six ans. Quatre productions sont en cours et devraient voir le jour à l’horizon 2025-2026, notamment Les Gendarmes (Jenfèvre) sur TF1, Sisters (Christophe Cazenove et William) sur M6, Une nuit à Rome (Jim) sur une plateforme de streaming et L’adoption (Zidrou et Arno Monin) avec Mandarin Film.
Pour ses 25 ans, que nous réserve Bamboo ?
Sur ces cinq dernières années, on a tout de même doublé notre chiffre d’affaires, qui devrait atteindre cette année 34 millions d’euros pour l’ensemble du groupe, hors audiovisuel. Pour les 25 ans, en revanche, on n’avait pas prévu grand-chose. Le troisième volume de la série dérivée Les Profs refont l’histoire sortira en juin prochain et on vient tout juste de créer un nouveau label indépendant, « Les aventuriers d’ailleurs », dans lequel seront exclusivement publiés des auteurs de BD étrangers. D’ailleurs, cinq titres sont déjà programmés pour le premier trimestre. Sinon, depuis le Covid, on cherche simplement à se retrouver avec les auteurs. C’est pourquoi nous avons organisé, le 30 septembre, une journée festival dans la région, avec près de 150 auteurs et une vente aux enchères de 70 planches originales, dont les bénéfices seront reversés à l’association Equipage Solidaire.