16 FÉVRIER - PHILOSOPHIE France

Un trio fabuleux pour une histoire qui ne l'est pas moins. Ce fut le moment fort de l'école française de biologie moléculaire. C'était en 1970. Dans les librairies, trois prix Nobel de médecine avec trois textes allaient changer notre vision de la vie : François Jacob avec La logique du vivant, André Lwoff avec L'ordre biologique et Jacques Monod avec Le hasard et la nécessité.

François Jacob, Jacques Monod et André Lwoff en 1965- Photo DR/RUE D'ULM

Dans Une nouvelle connaissance du vivant, les universitaires réunis par Claude Debru, Michel Morange et Frédéric Worms reviennent sur cette aventure intellectuelle, comparable à celle vécue en physique à la fin des années 1920 avec la découverte de la relativité et de la mécanique quantique. Elle généra aussi d'ailleurs des débats passionnants entre deux mondes qui avaient tendance à s'ignorer, celui des sciences dites exactes et celui des sciences humaines.

Le philosophe Georges Canguilhem - dont les éditions Vrin viennent de publier le premier volume des ?uvres complètes (1 030 p., 38 euros) - ne s'y était pas trompé. Dans un fameux article, il avait réuni les trois biologistes auxquels il avait ajouté Michel Foucault, qui s'était fait remarquer quatre ans auparavant avec Les mots et les choses. La richesse de la vie intellectuelle française de l'époque est ainsi illustrée dans cette analyse pointue.

Les contributeurs de ce petit livre d'une incroyable densité mettent eux aussi bien en évidence les enjeux de cette histoire qui navigue entre les sciences, les idées et la politique. Cette révélation du vivant survient en effet au moment où Louis Althusser dépoussière la statue de Marx et où Teilhard de Chardin tente d'édifier un fragile pont entre la science et la foi.

Ces mêmes auteurs, épistémologues, philosophes, historiens des sciences, montrent également la différence de personnalités entre Jacob, Lwoff et Monod, et ce qui fait qu'ils se sont retrouvés au même moment au même endroit. Pour Michel Morange, "la publication presque simultanée des ouvrages de François Jacob, André Lwoff et Jacques Monod n'est pas le fruit du hasard. Elle est le signe de la révolution intervenue dans les sciences du vivant dans les années et les décennies qui ont précédé".

Ce moment biologique, par les questions soulevées sur l'objectivité des sciences, la définition de l'humain, le sens de la vie et la notion de mort, reste important. Et sans doute même plus encore avec les innovations récentes du génie génétique et des nanotechnologies. Sauf que le débat intellectuel sur ce sujet primordial paraît bien discret à côté des empoignades de ces années 1970. Une page de la connaissance a été tournée. Mais une grande partie des problèmes posés demeure.

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