Rebonjour tristesse. « Retour à Paris. Saint-Germain-des-Poubelles. Août. Ce journal devrait dire tout autre chose que ce qu'il dit ou essaie de dire jusqu'ici : la taille du gigolo allemand dragué à 2 heures du matin, le poids de ses couilles comme des galets, la petitesse de son sexe qui ne bande pas, l'acharnement et la professionnalité de ses caresses, la vitesse à laquelle il est allé à la salle de bains et s'est rhabillé. Cent balles. »
Bonjour tristesse. Le Yves Navarre qui écrit ces lignes dans son journal à l'été 1971 est profondément désespéré. Il le restera. Jamais aucune gloire, aucune mondanité, aucun livre, aucune cause, ne parviendront à le distraire autrement que fugacement de la difficulté de vivre. Pleinement engagé dans les combats de son temps, d'une effrayante prolixité littéraire, mais tout de même toujours à l'ombre de l'aile noire de la mélancolie, toujours à considérer qu'il n'a de fidélité qu'avec l'échec. Et de fait, c'est comme si ce qu'il craignait le plus s'était en effet réalisé, car qui se souvient de lui, qui le lit encore, qui se rappelle l'écho des batailles de ce grand contemporain, du début des années 1970 au mitan des années 1980 ?
C'est tout le mérite de ce volume que de prétendre exhumer de concert un homme et une écriture. Le livre se compose à parts égales d'une biographie de Navarre par Frédéric Andrau (à qui l'on doit déjà notamment, chez le même éditeur, un Hervé Guibert ou les morsures du destin) et du journal inédit de l'auteur, de mars 1971 à octobre 1990. La première est juste et sensible, le second est un de profundis implacable. Le lecteur en conclura que rien ni personne sans doute n'aurait permis au romancier d'échapper à son funeste destin, à cette mort volontaire qui lui permit au moins de conserver l'illusion de demeurer l'auteur de son roman intime. Bien sûr, tout de même, il y eut des distractions. D'époque. Barthes, Sagan, Mitterrand, un Goncourt, Paris la nuit, les chats, peut-être le désir. Mais pour le reste, la peur, le sida, le chagrin, l'irrémédiable solitude. Laissons-lui la parole : « Ce journal me désespère parce que je me désespère. À le relire un jour, peut-être découvrirai-je que j'étais malade tout le temps, angoissé tout le temps. Faux. J'ai froid tout le temps. Ça c'est vrai. Froid au cœur, au corps, froid partout et surtout froid profondément dedans. »
Journal Précédé d'une biographie signée Frédéric Andrau
Séguier
Tirage: 1 900 ex.
Prix: 29 € ; 512 p.
ISBN: 9782840499510