Avant-portrait

Il aurait pu faire du stand-up. Lorsqu’on le voit sur scène pour sa conférence TEDxParis sur l’amour, on se dit qu’il est à l’aise dans le genre "Philo Comedy Club". Quand on le rencontre, on est saisi par la même attitude, une sorte de décontraction rieuse, une simplicité échevelée qui n’est pas toujours de mise chez les agrégés de philosophie.

Son nouvel essai sur les Vies, sentences et doctrines des sages imaginaires se présente comme "une irrésistible histoire de la philosophie en 14 pastiches". On est bien dans l’érudition loufoque à la Pierre Dac qui inventait Mordicus d’Athènes ou Salicylate de Soude. Mais il y a aussi chez ce prof un amour fou de la littérature avec une référence à Marcel Schwob et à ses Vies imaginaires. "Sauf que là où lui comblait des lacunes, je rajoute de la fiction."

Comment en est-il arrivé là ? Des ascendants espagnols et italiens, une prépa à Marseille, des études de philosophie à Aix. Puis c’est le cursus traditionnel avec le Capes et l’agrégation. A 23 ans, il est nommé à Limoges. Il y reste dix ans avant de rejoindre la banlieue parisienne, au lycée Gérard-de-Nerval de Luzarches, où il enseigne la philosophie depuis sept ans.

Yann Dall’Aglio n’est pas mécontent. Il aime transmettre à ses élèves, mais plus académiquement que dans ses livres. Après son succès avec Une Rolex à 50 ans (Flammarion, 2011), puis Jt’m : l’amour est-il has been ? (Flammarion, 2012), il entre encore davantage dans la littérature en imaginant ces penseurs qui n’ont jamais existé, mais dont les caractères sont puisés chez des auteurs ayant réellement vécu.

On trouvera des réminiscences de Cioran, Beckett, Char ou Bonnefoy. D’ailleurs, ses philosophes préférés, ce spécialiste du nihilisme les trouve chez les plus littéraires : Nietzsche, Pascal, Diderot, Schopenhauer ou Clément Rosset. Il aime cette philosophie à cheval qui galope sur les mots comme sur les idées.

Dans son aréopage fictionnel on croise la transhumaniste suédoise Augusta Peerson, le misanthrope viennois Thomas Irrsigler, l’écolo radical Ted Stanton ou le pessimiste limousin Pierre Mouge. Il y a de la jouissance stylistique dans cette démarche à vouloir faire le portrait de ceux qui mettent leurs idées au-dessus de tout et qui sont prêts à mourir pour cela. "La philosophie est aussi biographie. La vie explique les envies." Des envies d’écrire aussi. Yann Dall’Aglio ne puise pas ses références chez Heidegger ou Wittgenstein mais plutôt chez Proust, Houellebecq, Stendhal auquel il ajoute Pierre Desproges et Reiser. Il n’oublie pas non plus la leçon de l’un de ses maîtres, Bergson, qui définissait le rire comme de la mécanique plaquée sur du vivant.

 

Elégance et humour.

"Je voulais que le lecteur comprenne que chacun peut devenir un sage. Il n’y a rien d’exceptionnel à cela, mais je voulais pousser la logique jusqu’au bout, jusqu’à l’incohérence et pourquoi pas jusqu’à la folie." Il les aime ces athlètes de la pensée, ces marathoniens de l’aphorisme, ces sprinters de la logique. "Je ne donne pas mon sentiment sur ces sages. Je les décris, c’est tout."

 

En cela, il devient un peu plus écrivain. "J’ai privilégié des styles de vie, mais aucun ne domine sur les quatorze. Ils sont comme les quatorze touches d’un même instrument. Ils doivent sonner juste, être convaincants, chacun dans leur vision du monde."

Ce quadra, adepte de l’élégance de l’humour, se dit plutôt sceptique. "Le scepticisme, ça se mérite, sinon chacun se contenterait de sa vérité. C’est pourquoi j’ai voulu augmenter les points de contacts avec ce que l’on ignore." De livre en livre, on sent bien qu’il avance de plus en plus vers la littérature. "C’est mon but. Peut-être pas le roman, mais une autre forme."

Après deux ans et demi de travail, soit trois mois par penseur, Yann ne veut surtout pas réduire la philosophie à des conseils. Sauf à des conseils de lecture. Il y a de la pataphysique dans sa démarche, une volonté d’être sérieux jusqu’à l’absurde. Il a trop de plaisir à inventer pour imposer une seule vision du monde. Il veut surtout garder la notion du doute, ne pas croire à la disparition du livre, des idées et des rêves sous prétexte qu’il faudrait ne donner qu’un sens unique à notre destinée. Oui, Yann est un philosophe qui rêve, un philosophe qui s’amuse et qui pense. Laurent Lemire

Vies, sentences et doctrines des sages imaginaires, Yann Dall’Aglio, Flammarion, 220 p., 18 euros, ISBN : 978-2-08-129013-6. En librairie le 27 août.

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