Crise sanitaire

Xavier Moni : "il faut un fonds commun d'aide à la librairie"

Xavier Moni - Photo Olivier Dion.

Xavier Moni : "il faut un fonds commun d'aide à la librairie"

Le président du Syndicat de la librairie française analyse l'impact de la crise sanitaire sur l'activité et l'équilibre des librairies. Soulignant l'enjeu des subventions et de la solidarité au sein de la chaîne du livre pour relancer l'activité, il invite ses confères à réfléchir à leur stratégie sur le moyen terme, et les éditeurs à resserrer leur programme de parutions après le confinement.

Par Fabrice Piault,
Créé le 10.04.2020 à 20h00

Lui-même contraint de fermer sa librairie Comme un roman, à Paris (3e), qui compte dix salariés, le président du Syndicat de la librairie française évalue dans une interview exclusive à Livres Hebdo les conséquences du confinement général, qui a porté un coup d'arrêt à l'activité de la filière.
 
Comment avez-vous, avec votre équipe, abordé le confinement dans votre librairie, Comme un roman, à Paris ?
Etant donné le timing de l'annonce, un samedi, cela a été vraiment brutal même si nous commencions à nous demander si nous allions pourvoir continuer longtemps à accueillir nos clients dans les mêmes conditions, sans protection. J'ai pu mesurer le choc sur l'équipe. Aujourd'hui, entièrement au chômage technique – sauf moi qui ne le peut, en tant que gérant, ce qui constitue d'ailleurs un problème pour beaucoup de libraires –, elle est confinée aux quatre coins de la France. Mais nous gardons le lien, nous réfléchissons à nos habitudes de travail. Je pense qu'il en sortira quelque chose pour notre entreprise et pour sa manière de travailler avec ses clients et ses fournisseurs.

De nombreuses librairies ont cherché poursuivre une activité en dépit de la fermeture des magasins au public, avec des conseils en ligne, la mise à disposition de commandes ou même des livraisons. Le SLF a-t-il pu dresser un état des lieux ?
Nous avons des remontées des associations locales et régionales. Ces modes d'intervention font partie des petits arrangements des uns et des autres avec le confinement, ils existent, il n'ont rien d'illégal même si je considère la mise à disposition et le drive comme très limites en terme d'autorisations de sortie. Cependant, ils sont très largement minoritaires dans la profession. Personnellement, je ne les encourage pas. Ils ne règlent pas les problèmes de la librairie, ni ne raccourcissent la durée du confinement. Pour nous tous, c'est un crève-cœur de fermer nos librairies. Mais, alors qu'il demeure difficile de se procurer des masques en pharmacie et de mettre en œuvre les mesures barrière, garder un filet d'activité n'est pas la solution pour nos équipes comme pour nos clients. Ce n'est pas là que se situe le courage aujourd'hui. Les enjeux sont tout autres. Nous ne retrouverons une activité économique digne de ce nom que quand la situation sanitaire sera vraiment rétablie.
 
La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

Malgré les propositions du ministre de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire, le SLF a pris, contre l’ouverture des librairies et leur reconnaissance comme commerces essentiels pendant le confinement, une position très ferme qui n’a pas toujours été comprise par le public. Comment la justifiez-vous ?
Lorsque Bruno Le Maire s'est exprimé, je me suis demandé si nous pouvions revendiquer d'ouvrir nos librairies dans la situation sanitaire que connaissait le pays. Ce n'était pas légitime : le livre est un produit de première nécessité, mais ce n'est tout de même pas un produit vital ! Je suis moi-même un gros lecteur, mais chacun peut reprendre les livres de sa bibliothèque privée. Et je peux vous dire que, comme libraire, je reçois beaucoup plus de messages de gens qui nous soutiennent et qui nous promettent de revenir à la réouverture, que de critiques nous demandant d'ouvrir maintenant.

Parmi les raisons invoquées par le SLF pour ne pas ouvrir les librairies se trouve la crainte qu’elles puissent être « évincées de la majorité des dispositifs d'aide tout en réalisant un chiffre d'affaires dérisoire ». N’était-il pas possible de demander des garanties de soutien en cas d’ouverture ?
Même si je n'y avais pas pensé au départ, cette dimension du chômage partiel permet d'amortir le choc. Mais, encore une fois, ma première réaction a relevé d'un positionnement éthique, et j'ai senti qu'elle était partagée par l'immense majorité des libraires, petits ou grands.

Au total, cet épisode ne fait-il pas perdre du terrain à la librairie face aux réseaux concurrents des enseignes en ligne et des hypermarchés ?
On est là à la fois dans l'inédit et dans les points d'incertitudes. Mais je ne le pense pas. Ce qui peut prendre de l'importance à l'issue de cette crise hors du commun, c'est la lecture numérique.

Avez-vous pu évaluer l’impact de la crise sanitaire, immédiat et à moyen terme, sur l’activité des librairies ?
Cela fait partie de mes sujets de préoccupation. Au SLF, nous avons évalué l'impact de la fermeture des librairies pendant un, deux ou trois mois, avec une absence d'activité et des charges qui continuent de courir. Certaines de ces charges, comme les salaires, sont couvertes par les dispositifs nationaux de chômage partiel. D'autres, tel le transport, s'interrompent. Mais, sur la base des études Xerfi sur la librairie, nous estimons le reste à charge à environ 16 % du chiffre d'affaires. Cela donne une idée de la perte d'exploitation des libraires pendant la période de fermeture.
 
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Cependant, alors que tout le monde se focalise sur cette période dont on ne connait pas la durée,  mais qui est assez simple à évaluer, je voudrais surtout mettre en garde les libraires pour la suite. Le principal défi est de moyen terme. J'invite mes confrères à prendre le temps de se poser et à refaire des prévisionnels sur un an d'activité avec des hypothèses plus ou moins optimistes. Pour ma librairie, sur une année, dans mon hypothèse médiane, j'envisage une perte de chiffre d'affaires de l'ordre de 25 à 30%. Mon mois de janvier était étale, j'ai progressé en février, j'ai perdu 50 % en mars, avril sera à 0, mai peut-être à -50% et, en juin, même si nous avons rouvert, nous serons encore dans une période de convalescence. Nous ne pouvons pas espérer retrouver un chiffre d'affaires proche de notre étiage habituel avant septembre. Et nous ne retrouverons pas en fin d'année le chiffre que nous perdons en ce moment.

Craignez-vous une vague de faillites de librairies à court terme ?
Tout dépendra vraiment de ce qui se passera en mai et en juin. Si la situation sanitaire s'améliore rapidement, et qu'elle est suivie d'une reprise, nous trouverons les moyens d'éviter une catastrophe car nous avons des cartes en mains, une filière qui a des intérêts communs, au sein de laquelle nous dépendons les uns des autres. En revanche, si la crise sanitaire dure longtemps et est suivie par une grave récession, ce sera plus difficile... Mon inquiétude est finalement proportionnelle à la durée de la crise sanitaire. Dans tous les cas, mon objectif en tant que président du SLF est de trouver les moyens pour qu'aucune librairie ne ferme.

Quels sont les principaux défis auxquels sont confrontées les librairies pour redémarrer leur activité lorsque ce sera possible ?
Il nous faut faire en sorte que nos librairies soient, lorsqu'elles auront l'autorisation de rouvrir, des lieux où on ait envie d'aller. De ce point de vue, nous avons des atouts. Les librairies sont des lieux de désir. On vient y toucher les livres, s'y faire faire des paquets cadeaux. Mais les mesures prises dans le cadre de la crise sanitaire vont à l'encontre de notre caractère de lieux de rencontre et d'échange, qu'il va nous falloir retrouver. Ce sera un défi de redonner du plaisir au lecteur dans un contexte où nous devrons certainement continuer à respecter des gestes barrière.
Notre autre défi sera, avec les éditeurs, de penser à ce que nous allons mettre dans nos magasins, au programme de nouveautés qui permettra de redonner de l'appétit à nos lecteurs convalescents. Nous ne savons pas du tout de quoi les lecteurs auront envie en sortant du confinement. Mais nous ne pourrons pas faire entrer dans nos librairies autant de titres que l'an dernier, tout en ayant besoin de titres à potentiel pour relancer la machine.
 
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Comment appréciez-vous les dispositifs d’urgence annoncés par le ministère de la Culture et le CNL ainsi que par l’Adelc ?
Une des forces de notre profession, c'est qu'elle constitue un collectif. Dans cette crise, grâce aux liens entretenus tout au long de l'année, il s'est passé en trois semaines des choses importantes. D'abord, les reports d'échéances décidés par les grands distributeurs : je me félicite que les discussions aient abouti rapidement avec tous. Ensuite, la décision de l'Adelc, que je salue, de dégager cinq millions d'euros. Si nous arrivions à conjuguer les efforts des uns et des autres – l'Adelc, le ministère de la Culture et le CNL, les régions... – pour constituer un fonds commun d'aide à la librairie, ce serait idéal. Cela permettrait de voir ce que chacun peut y apporter, et de déterminer ensuite si telle ou telle librairie relèvera plutôt d'un dispositif ou d'un autre. Cependant, et c'est un point de vigilance, il faut qu'une bonne part des aides soient des subventions. Nous ne sommes pas un secteur très subventionné et, pour une certain nombre de librairies jeunes, reprises récemment ou très endettées, un complément de subvention sera la seule solution. L'immense majorité des libraires ne pourront pas couvrir deux ou trois mois de pertes d'exploitation sur leurs fonds propres.

Les sommes annoncées seront-elles suffisantes ?
Actuellement, on répond à l'urgence avec une hypothèse qui contient beaucoup d'inconnues. Quand nous aurons plus de visibilité, nous affinerons les besoins. La situation est inédite pour toute la filière. Les librairies qui ferment, c'est un problème pour beaucoup d'éditeurs qui dépendent d'elles. Nous sommes confrontés à un enjeu majeur de préservation de la diversité de l'édition comme de la librairie. Je sais que nous ne décrocherons pas 100 millions d'euros pour la librairie. Mais je souhaite qu'on trouve simplement les moyens de répondre au cas par cas aux demandes des librairies en difficulté.

Quels conseils donneriez-vous à vos confrères libraires dans cette période compliquée ?
C'est la force de cette profession de réfléchir beaucoup. Je sais que les libraires confinés se posent plein de questions. Mais mon conseil principal est qu'ils pensent l'avenir d'un point de vue financier : de quoi chacun va-t-il avoir besoin pour passer la crise ? Il ne faut pas craindre que tout soit perdu, mais pas non plus imaginer que tout va repartir comme avant. Il faut établir des hypothèses haute, basse, médiane et préciser les besoins financiers qu'elles impliquent.

Et aux éditeurs ?
Il faut, en matière de production, qu'ils s'adaptent à la nouvelle situation de la librairie qui, en septembre, ne sera plus la même qu'en septembre 2019. Elle sera convalescente. Elle aura des envies, mais devra rester très prudente. C'est dans ce sens que Maya Flandin, vice-présidente du SLF, travaille, au sein de la commission des usages commerciaux qui nous associe au Syndicat national de l'édition, à un protocole de reprise. Nous ne pouvons envisager de redémarrer sur la base des commandes qui avaient été faites avant la crise. Celle-ci, qui remet en cause tant de certitudes et suscite beaucoup de questionnements sur la manière dont notre société va sortir de son hibernation, est lourde et compliquée pour tout le monde. Mais nous avons sans doute l'opportunité historique et la responsabilité collective de repenser nos métiers et nos relations. C'est un besoin profond qui s'est exprimé à plusieurs reprises dans la profession. C'est sans doute le moment de nous mettre autour de la table pour corriger certains dysfonctionnements.
 

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