Avis aux fans de Jakub Mortka, alias le Kub, enquêteur de la police de Varsovie : Les ombres est le dernier tome de la remarquable série de romans noirs que lui a consacrée Wojciech Chmielarz. La fin de La cité des rêves, précédent opus de la série, appelait une suite, qui fera donc office de conclusion. Le Kub y enquêtait sur deux affaires : l'assassinat d'une étudiante en journalisme, qui avait mis au jour une sordide organisation criminelle, et la découverte des corps de trois gangsters de Varsovie. L'enquête s'achevait sur des cliffhangers : on n'apprenait pas qui avait tué les trois hommes, mais on savait que la lieutenante Suchoka, dite la Sèche, adjointe du Kub, avait mis la main sur une clé USB appartenant à la journaliste et contenant les images du viol d'un jeune homme par des sommités du monde politique.

Au début des Ombres, certaine que sa hiérarchie étouffera l'affaire si elle lui confie la bande, la Sèche décide de se lancer seule à la recherche des coupables. Le roman s'ouvre également sur un nouveau crime : la femme et la fille de l'un des gangsters retrouvés morts dans le tome précédent sont, à leur tour, assassinées. Le crime a été commis avec l'arme de service de Kochan, ex-adjoint de Jakub, père et mari violent qui ne trouve, parmi ses collègues, aucun soutien, si ce n'est celui du Kub, qui accepte de l'aider à se disculper en vertu d'un solide, et parfois discutable, sens de la loyauté.

Avec la force tranquille de Jakub comme centre de gravité, l'intrigue des Ombres se lance dans une multitude de directions et tourbillonne autour d'un autre personnage légendaire de la série : Borzestowski, boss de la pègre varsovienne, bouche d'ombre dans laquelle vont s'engouffrer un à un tous les démons du livre. Le génie de Chmielarz consiste à peindre des personnages dans une gamme chromatique allant du blanc au noir en passant par toutes les nuances de gris : « Chacun de nous a quelque chose sur la conscience », dit l'un de ses supérieurs au Kub. Et Les ombres vont solder tous les comptes, avec une maestria frisant l'excellence.

Cet ultime volet de la série convoque les thèmes chers à Chmielarz : violence faite aux femmes et aux enfants, inégalités sociales, corruption des élites politiques et de la police, ivresse du pouvoir menant aux vices les plus sombres. Il se déploie en tableaux brefs, sautant d'un personnage à l'autre avec la vélocité et la fureur d'un film de Tarantino - dont l'influence plane sur l'ensemble de la série. Parmi ses protagonistes tourmentés, une femme s'élève au rang d'icône : la Sèche. Pétrie de colère, d'intelligence et de soif de justice, elle a gagné en profondeur au fil des tomes, au point de surplomber le Kub et de nous donner envie de lire une nouvelle série de l'auteur construite autour de cette héroïne. Grâce au flair des éditions Agullo, Chmielarz est devenu la pierre angulaire du polar polonais, actant la tendance du roman noir venu de l'Est. Avec ou sans la Sèche, on piaffe d'impatience de découvrir dans quelles nouvelles aventures cet auteur indispensable va bientôt nous entraîner.