Fiction, non-fiction, Histoire ou histoires... Les nomenclatures sont toujours trop étroites pour l'écrivain. L'écriture déborde l'étiquette. Certaines manières d'écrire, qui ne se voient point encore accorder des lettres de noblesse, ne sont pas moins de la littérature. William T. Vollmann, qui fait sans conteste de la littérature, ne distingue pas entre l'essai et le roman. Central Europe (Actes Sud, 2007) qui lui valut le National Book Award en 2005 était la fresque magistrale d'un Vieux Continent déchiré par les idéologies, sous la férule du nazisme et du régime soviétique, mettant en scène des personnages historiques tel le compositeur Dimitri Chostakovitch. Si chez Vollmann la narration a parfois des airs de reportage, on est loin du servile mimétisme censé rendre compte d'une vérité « objective ». L'écrivain, à ses heures journaliste, sert la vérité mais au prisme assumé de la subjectivité. L'acuité d'un regard qui saisit une scène discrète, un geste furtif - un détail qui ne tue pas tant qu'il ne prolonge la vie d'un personnage au-delà des mots.
Vollmann s'est rendu sur le théâtre des opérations en Bosnie, il a également voyagé, vu du pays, écouté des gens, lu des ouvrages d'histoire ou de poésie, étudié les folklores. Dans son nouveau livre, Dernières nouvelles, un recueil d'histoires « courtes » (la nouvelle chez cet auteur qui se caractérise par son ampleur peut faire une centaine de pages), l'écrivain américain nous transporte des Balkans au Japon en passant par le Mexique ou la Scandinavie. On voyage aussi à travers les âges et les légendes du côté de la Californie sous domination hispanique au temps des conquistadores avec « Les deux rois de Zuñogava », on retourne à l'Amérique profonde et contemporaine dans « Quand nous avions dix-sept ans », magnifique récit de la vie comme elle va, ou pas, clopin-clopant sur la déroute de nos rêves. Dernières nouvelles est un ballot de récits reliés entre eux par ce fil rouge tressé de deux motifs que sont le désir et la mort. « L'échappée » qui ouvre le recueil joue la fuite désespérée de ceux qui s'aiment, envers et contre tout : les clans, les confessions. Zlata est bosniaque musulmane, Zoran serbe chrétien, c'est Roméo et Juliette sous les bombes du conflit yougoslave... L'épouse fidèle l'est au-delà du trépas, et les amis partis jamais absents. Les fantômes hantent les vivants, ou c'est le contraire : nous ne lâchons pas nos morts. Pareille à la sensation qui demeure après que le membre a été sevré, nous ressentons la douleur. Douleur fantôme.
« En regardant ce bas monde défiler sous ma fenêtre, dit Vollmann dans un avis au lecteur, je me demande comment il aurait fallu que je vive. À présent qu'il semble trop tard pour changer celui que j'ai été, je me refuse à me plaindre ; je n'ai d'ailleurs qu'un seul regret, celui de voir le plaisir toucher à sa fin. » Le nôtre en le lisant, jamais.
Dernières nouvelles et autres nouvelles Traduites de l'anglais (États-Unis) par Pierre Demarty
Actes Sud
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 28 € ; 896 p.
ISBN: 9782330144616