24 avril > Histoire France > Frédéric Sallée

Les voyages ne forment pas que la jeunesse. Certains aveuglent plus qu’ils n’ouvrent l’esprit. Ce fut le cas pour ceux qui ont visité des dictatures comme des Luna Park idéologiques. Périples en URSS, en Chine, à Cuba, la liste est longue. L’Allemagne nazie reste un modèle de ce chemin pavé de mauvaises intentions avec ses manifestations gigantesques et sa ferveur populaire. De la poudre aux yeux. Le problème avec les démocraties, c’est qu’elles ne font étalage de rien. Tout simplement parce que la liberté ne se donne pas en spectacle. Sauf quand il faut la conquérir.

Frédéric Sallée (université Grenoble Alpes) est allé sur les traces de ces "chemins de terre brune", ces voyages dans l’Allemagne nazie de 1933 à 1939. Juste avant la guerre, un peu avant l’incendie de l’Europe. Bien sûr, ces touristes n’ont pas vu les pyromanes. Ces artistes, ces intellectuels, ces savants n’ont regardé que ce qu’ils étaient venus voir. Autre chose. Du plus grand, du plus fort. Certains ne se sont même aperçus de rien, comme Beckett, ou Sartre qui ne prend pas ces défilés au sérieux. Et que dire de ces comédiens français venus tourner à Babelsberg et qui, de leurs hôtels berlinois aux studios, n’ont pas remarqué les boutiques juives dévastées et les slogans racistes ?

La fascination est un phénomène semblable à celui de la lumière qui attire les papillons. Tous s’y brûlent. Plus ou moins profondément. L’aveuglement reste la séquelle. Voilà pourquoi, sans doute, René Char envisageait la lucidité comme "la blessure la plus proche du soleil".

Le grand intérêt de cette enquête qui puise dans une masse documentaire considérable réside dans le fait qu’elle va au-delà du factuel. Ceux et celles qui ont fait le voyage, on les connaît, mais on ne les comprend pas toujours. C’est là qu’intervient Frédéric Sallée. Il creuse dans les esprits, il veut savoir. En cherchant dans les lettres, les livres, les témoignages, il parvient à saisir les motivations, puis la fascination pour un modèle qui rompt moins avec le système qu’il ne le développe, jusqu’à l’outrance. Mais les visiteurs ne voient plus l’emphase du père Ubu. Ils ont devant eux le pouvoir, immense, qui s’étale comme une évidence dont on ne veut rien apprendre. "La fin du voyage commence là où il y a conscience de son voyage et acceptation d’un certain sens de l’histoire." Cette conscience-là, visiblement, très peu l’ont eue. L. L.

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