VACANCES

Vous faites quoi cet été ?

LIRE SUR LES GALETS. Sur les plages de la Côte d'Albâtre, la BDP de Seine-Maritime propose aux estivants des cabanes-bibliothèques, offrant chacune mille titres . L'opération a été couronnée en 2010 par le prix Livres Hebdo des bibliothèques - Photo BDP DE SEINE-MARITIME

Vous faites quoi cet été ?

Pour les professionnels du livre, hormis les éditeurs et certains diffuseurs, l'été est une période qu'il s'agit d'investir avec des moyens adéquats, surtout dans les régions touristiques : horaires adaptés, animations, personnel en renfort, sélections de livres pour la plage ou la visite. Revue des dispositifs de chacun.

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Par Hervé Hugueny,
Créé le 12.02.2016 à 19h00 ,
Mis à jour le 15.02.2016 à 15h51

Ils pourraient faire des incantations secrètes pour que l'été soit gris, car la pluie met en général les ventes de livres au beau fixe. Mais les libraires, les distributeurs et même les bibliothécaires s'organisent pour faire face aux grandes transhumances des vacances estivales. Certains réduisent l'amplitude des horaires d'ouverture, ou, dans les villes non touristiques de l'intérieur du pays, ferment carrément : si les clients sont en vacances, il est de bonne logique que le personnel le soit aussi. Mais pour les libraires côtiers ou montagnards, il ne faut pas se rater. A Saint-Pierre-d'Oléron, la librairie des Pertuis réalise plus de la moitié de son chiffre d'affaires annuel pendant ces deux mois.

LE ROMAN DE PLAGE RÉSISTE BIEN

En dépit de la concurrence de multiples gadgets électroniques, le roman de plage résiste bien. Interforum, distributeur des éditeurs de Marc Levy et Guillaume Musso, accorde ainsi une attention toute particulière au réassort des best-sellers de l'été, dont la demande peut s'envoler brusquement, notamment en fonction des conditions météo. Le centre de distribution d'Hachette Livre prépare ses sélections de l'été pour les maisons de la presse, qui vendront "le" livre annuel acheté par ceux qui entretiennent un rapport distancié ou saisonnier avec la lecture. Dans le rayon parascolaire, des mètres de cahiers d'exercices et de synthèses de révision attendent les parents stressés, dont la progéniture opposera une résistance opiniâtre à l'administration de ces séduisant pensums, promis à la benne après un usage intensif jusqu'à la page 12.

Sans contrainte de chiffre d'affaires à réaliser, les bibliothèques s'adaptent aussi au rythme particulier de cette saison, et peuvent être utilisées comme un élément du patrimoine et des équipements de loisirs locaux. C'est ce que fait la municipalité de Carnac avec sa belle médiathèque, dans une Bretagne réputée pour l'incertitude fantasque de son climat, où il est touristiquement vital de ne pas laisser le visiteur égaré sous le crachin.

Encore plus audacieuses, la Seine-Maritime ou la Vendée organisent des opérations "Livres à la plage", copiant Paris qui fait la sienne sur les bords de Seine. Faisant preuve d'un activisme débordant, Flammarion y participe cette année. Car dans le livre, l'éditeur est le seul intervenant qui n'a plus rien à faire d'autre qu'espérer que l'été récompensera ses efforts antérieurs, ou sera favorable à tout ce qu'il a préparé pour la rentrée.

1. Les libraires se préparent à un été actif

Pour sa vitrine cet été, Valérie Le Louarn et la librairie du Renard à Paimpol ont abandonné le thème maritime pour représenter la chambre d'un adolescent.- Photo DR

En librairie, l'été n'est pas forcément synonyme de vacances. Pour les établissements installés en zone touristique, c'est au contraire une période d'activité intense. A la librairie des Pertuis à Saint-Pierre-d'Oléron, juillet et août sont même des mois cruciaux, puisqu'ils représentent près de 60 % du chiffre d'affaires annuel. "La ville passe de 18 000 âmes à l'année à 300 000 l'été, explique son responsable Stéphane Rocton. Pour faire face à la demande, nous triplons les effectifs et ouvrons le magasin tous les jours de 8 heures à 20 heures... à l'exception du dimanche où nous fermons à 18 heures !" Fort de cet afflux, le libraire organise aussi des signatures qui se tiennent dans la rue piétonne où il est installé et, pour la première fois cette année, il entend disposer des présentoirs de livres à l'extérieur de son point de vente. "Parmi les vacanciers, il y a des gens qui n'entrent jamais en librairie. Il s'agit d'aller les capter là où ils sont, c'est-à-dire dans la rue, avec des livres ludiques ou des livres qui intéressent leurs enfants."

LECTURES PLAISIR

"L'été est une période de gestation, un moment précieux pour réfléchir et innover", note Danielle Cillien-Sabatier, directrice de Galignani à Paris.- Photo GALIGNANI

A la Librairie générale d'Arcachon, juillet et août sont également les mois les plus importants de l'année. Face à l'affluence, la responsable Anne Giraudeau élargit les horaires d'ouverture et propose de nombreuses rencontres et dédicaces notamment avec des auteurs régionaux. Actuellement en pleine préparation de son été, elle évoque aussi un ajustement de son offre avec des réassorts sur les meilleures ventes et sur les coups de coeur de ses libraires qui seront valorisés tout l'été auprès de ses clients vacanciers. Misant comme beaucoup de ses confrères en cette période sur les « lectures plaisir », Olivier Rouart, à la tête des librairies Charlemagne dans le Var (à Toulon, Hyères, Fréjus...), joue aussi volontiers la carte des opérations commerciales proposées par les éditeurs, notamment sur les livres de poche.

Ci-dessus, une vitrine de l'été 2010 sur le thème de Paris, qui vise la clientèle touristique, française et étrangère.- Photo GALIGNANI

Mais les vitrines font également, en zone touristique, l'objet de soins particuliers, permettant souvent au libraire de mettre en avant la production en lien avec sa région. Toujours très créative, la librairie du Renard à Paimpol a décidé cet été de rompre avec la tradition marine pour représenter la chambre d'un adolescent. "C'est une littérature qui se développe beaucoup, argumente Valérie Le Louarn. La vitrine, qui a été conçue par nos deux libraires, âgés chacun de moins de 25 ans, devrait interpeller." La thématique annonce aussi le réaménagement du rayon pour ados cet automne, afin de le séparer des titres pour la jeunesse. Chez Masséna à Nice, la tradition reste de mise avec, comme chaque été, l'installation d'une grande vitrine de livres en anglais, en phase avec l'afflux d'une clientèle étrangère.

STAGIAIRES OU ÉTUDIANTS EN RENFORT

Côté coulisses, l'été donne lieu aussi à des modifications d'organisation au sein des structures qui doivent faire face à un pic de fréquentation. Alors que certains libraires embauchent volontiers des stagiaires ou des étudiants, d'autres, tel Jean-Marie Aubert chez Masséna, préfèrent s'organiser avec leurs libraires pour qu'ils n'aient pas à assumer d'autres tâches que la relation à la clientèle, en particulier "entre 17 heures et 19 heures, période de forte affluence avec les retours de plage".

Mais, même pour les librairies installées dans des zones non touristiques, l'accueil et la disponibilité des équipes de vente prennent l'été une importance encore plus grande. "Ce n'est pas du tout la même ambiance, note Florence Veyrié, à la tête de La Maison jaune à Neuville-sur-Saône. Nos clients sont moins impatients, ils prennent leur temps, discutent volontiers. C'est l'occasion pour nous de leur faire découvrir le fonds." Alors qu'elle fermait les deux premières semaines d'août, elle a décidé, pour la première fois cette année, de garder sa librairie ouverte tout l'été, en aménageant toutefois les horaires avec notamment une fermeture entre 12 heures et 15 heures. "Les gens fragmentent de plus en plus leurs vacances, ce qui maintient une activité basse mais continue, que nous n'avons pas les moyens de négliger", explique-t-elle.

En Ile-de-France et à Paris, l'été est souvent aussi une période particulièrement calme. Mais si certains ferment quinze jours, voire un mois, d'autres en profitent pour prendre du recul. "C'est une période de gestation, un moment précieux pour réfléchir et innover", observe Danielle Cillien-Sabatier, directrice de Galignani à Paris.

De manière plus radicale, certains libraires profitent de l'été pour réaliser d'importants travaux dans leur magasin. Ainsi, cette année, Vivement dimanche à Lyon s'agrandira. A Puteaux, L'Amandier profitera de sa fermeture annuelle les deux premières semaines d'août pour déménager : se rapprochant du coeur commercial de la ville, la librairie s'installera dans un local de 120 m2, deux fois plus grand que l'actuel. De même, les mois de juillet et août seront mis à profit à la librairie des Halles à Niort pour agrandir la surface de vente, via la transformation d'un local qui servait de remise, et pour changer de mobilier, de façon à pouvoir accueillir davantage de fonds. Autant d'initiatives à découvrir à la rentrée.

2. Distribution-diffusion : les scolaires et les littéraires

L'été, ce n'est pas les vacances finalement", s'exclame Jean-Paul Alic, directeur général adjoint d'Interforum, filiale du groupe Editis, qui s'apprête à traiter les nouveautés de Nathan, Bordas et Retz. Dans la distribution-diffusion, l'été se divise entre ceux qui font du scolaire, et ceux qui n'en font pas : "Nous fermons pendant trois semaines, de fin juillet à début août, indique Hélène de Laportalière, directrice commerciale de la Sodis (groupe Gallimard). Les représentants passent en juin dans les points de vente saisonniers pour vérifier les approvisionnements, notamment en jeunesse, avant le grand redémarrage de la rentrée littéraire." Alessandro Vai, directeur général d'Union Distribution (Flammarion), qui n'a plus de scolaire depuis la cession de Delagrave, a bouclé mi-juin l'envoi du million de volumes de J'ai lu pour l'opération poches de l'été, et surveillera plus tranquillement les réassorts. Chez Volumen (goupe La Martinière), les opérations poches et les réassorts constituent l'essentiel des flux des semaines estivales, confirme Karima Gamgit. "Le dernier office part début juillet et l'activité se réduit ensuite, mais nous ne fermons pas", souligne la directrice générale de Volumen.

EMBAUCHER

En revanche, pour Dilisco, juillet et août sont devenus les deux mois les plus importants de l'année : "Delagrave, qui est maintenant dans le groupe, s'ajoute aux flux scolaire et parascolaire que nous traitons habituellement pour Magnard", explique Philippe Gadesaude. Le directeur général de la filiale distribution-diffusion du groupe Albin Michel s'est aussi préoccupé de la disponibilité de ses transporteurs pendant l'été, craignant quelques tensions. A Maurepas, au Centre de distribution du livre, l'été marque le début d'une intensification de l'activité, avec la mise en place de l'équipe de nuit, qui tournera pendant tout le second semestre, explique Michèle Benbunan, directrice de la branche distribution et services d'Hachette. "Nous traitons en réception les premiers flux de manuels scolaires, nous activons les comptes saisonniers qui ne fonctionnent que pendant cette période, et pour lesquels nous avons préparé des sélections de titres spécifiques, en général plus familiales, et adaptées aux différentes zones touristiques." Pour ces distributeurs, il faut même embaucher, pour compenser les départs en vacances. "Nous prenons des étudiants en renfort, et des enfants du personnel. Et nous avons mis en place une procédure particulière pour les réassorts des best-sellers, dont le cycle de vente peut être très rapide", ajoute Jean-Paul Alic.

3. Les bibliothèques s'installent sur les plages

De plus en plus de bibliothèques situées dans des zones touristiques adaptent leurs services aux vacanciers, un public éphémère mais disponible. Horaires étudiés, cabanes sur la plage : l'occasion de montrer une image plus décontractée et de conquérir de nouveaux usagers.

La nouvelle bibliothèque de Carnac, dans le Morbihan, est aussi un argument touristique : l'office du tourisme en recommande la visite.- Photo VÉRONIQUE HEURTEMATTE

Carnac, charmante bourgade du Morbihan en Bretagne sud, possède de nombreux attraits pour les vacanciers : ses plages, ses menhirs et... sa bibliothèque ! Ouvert en juillet 2010, juste avant la haute saison touristique, le nouvel équipement a été conçu comme un espace culturel destiné à animer la commune toute l'année, mais également comme un argument touristique à part entière. La bibliothèque dispose d'une pleine page dans la brochure de l'office de tourisme, qui n'hésite pas à en recommander la visite, au même titre que le musée de préhistoire. En été, elle est ouverte du mardi au samedi, de 10 heures à 15 heures, le moment où les touristes font leurs courses avant de partir à la plage. "Nous avons beaucoup réfléchi à ces horaires, explique Marion Girault, directrice adjointe du Terraqué (le nom de l'espace culturel). Nous avons fait le choix d'une ouverture en continu qui permet aussi aux salariés de Carnac de venir pendant leur pose déjeuner. Idéalement, il faudrait que nous soyons ouverts plus longtemps, ainsi que le dimanche."

Son implantation stratégique en plein centre-ville sur la place du marché est un des facteurs clés de sa réussite : on vient volontiers déambuler sur un agréable plateau décloisonné qui offre les collections, quatre ordinateurs, un coin presse et un petit espace d'exposition. Ici, on peut consulter Internet gratuitement sans être inscrit ou utiliser le Wi-Fi avec son propre ordinateur. Il n'y a pas de tarif spécifique pour les gens de passage, mais le coût très modeste de l'inscription annuelle (10 euros pour un enfant, 15 euros pour un adulte) n'est pas un frein, d'autant que le secteur compte de nombreuses résidences secondaires où les propriétaires se rendent plusieurs fois dans l'année. Mais même des vacanciers venus pour une semaine au camping municipal n'ont pas hésité à prendre leur carte ! "Les gens préparent leur séjour en réservant des livres par Internet depuis Rennes ou Paris", relève Marion Girault.

La bibliothèque fonctionne avec quatre personnes à temps plein auxquelles s'ajoute une quinzaine de bénévoles. Devant le succès rencontré dès le premier été (1 500 visiteurs par semaine en moyenne), la bibliothèque a prévu cette année de recruter trois vacataires en juillet-août.

55 000 VISITEURS

Comme Carnac, de plus en plus de bibliothèques situées dans des secteurs touristiques s'adaptent au public des vacanciers. Pionnière en la matière, la bibliothèque départementale de Seine-Maritime coordonne depuis 2006 l'opération "Lire à la plage". Dans douze communes du département, des cabanes de plages se transforment en bibliothèques éphémères, proposant en consultation sur place uniquement (pas d'emprunt), 1 000 livres et des transats pour s'installer confortablement. On peut faire mettre de côté l'ouvrage entamé pour venir poursuivre la lecture plus tard. Ces bibliothèques, ouvertes sept jours sur sept, proposent une amplitude horaire rarement atteinte par les établissements le reste de l'année : 56 heures par semaine ! En 2010, 55 000 visiteurs ont utilisé les bibliothèques de plage ou participé aux animations qu'elles proposaient. Les sites fonctionnent avec des personnels vacataires recrutés pour la saison.

Boulogne-sur-Mer a lancé l'année dernière une opération similaire, avec des horaires d'ouverture plus modestes (28 heures hebdomadaires 7 jours sur 7) mais avec la possibilité d'emprunter (gratuitement sur présentation d'une pièce d'identité). "Nous voyons des touristes très demandeurs d'activités de loisirs car la baignade ici est interdite, mais aussi des usagers habituels qui profitent des horaires un peu différents, ainsi que des personnes qui n'osent pas venir à la bibliothèque. Ici, c'est moins intimidant", souligne Anne Coquet-Lamotte, responsable de l'une des bibliothèques du réseau municipal de Boulogne-sur-Mer. Pour sa première édition, la bibliothèque de plage a reçu en 2010 2 700 visiteurs et a enregistré 237 inscriptions.

Sur un principe semblable, la bibliothèque départementale de Vendée a initié depuis 2009 l'opération "Lecture et multimédia à la plage" sur deux ou trois communes participantes selon les années. Son originalité : en plus des livres (adaptés aux lectures de vacances et au public avec des titres en langues étrangères) et des magazines, les lecteurs peuvent utiliser deux postes informatiques avec accès gratuits à Internet, mais aussi à du téléchargement de musique et d'ebooks. "On pensait que ce serait un peu gadget, admet Vincent Lecomte, directeur de la BDP de Vendée. En fait, on a prêté en 2009 plus de documents téléchargés que de livres ! » Constat unanime des bibliothèques participantes : le public se montre respectueux et honnête. "Les gens apprécient qu'on leur fasse confiance, souligne Vincent Lecomte. Ceux qui oublient de nous rendre leurs documents les renvoient par la poste. Jusqu'à présent, nous n'avons pas perdu un seul livre ! »

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