Saga

Vivendi / Lagardère : 2002-2004, Rumeurs et grandes manœuvres (1/5)

Jean-Louis Lisimacchio P-DG d'Hachette livre et Jean-Luc Lagardère au salon du livre 2002 - Photo Olivier Dion

Vivendi / Lagardère : 2002-2004, Rumeurs et grandes manœuvres (1/5)

En 2002 s’ouvrait le long processus de rachat de Vivendi universal publishing (Vup, devenu Editis) par le groupe Lagardère. Deux ans de tractations ont suivi, bouleversant le paysage éditorial français. Retour, au fil des archives de Livres Hebdo, sur ce feuilleton qui résonne de manière étrangement familière aujourd’hui. 

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Par Pierre Georges,
Créé le 04.12.2021 à 15h24

Alors que s’amorce en cette fin d’année 2021 le processus de rachat de Lagardère par Vivendi, les actualités du début de l’année 2002 semblent bien familières. Jeff Bezos et Amazon, campagne présidentielle et questions d’identité, Marc Levy, Michel Houellebecq ou J.K. Rowling dans les meilleures ventes de livres… Surtout lorsqu’à partir du printemps 2002, Livres Hebdo évoque pour la première fois les hypothèses de cession du groupe Vivendi universal publishing (Vup) dans le contexte explosif de la fin de l’ère Jean-Marie Messier.

Les cendres laissées par J2M

« A quelle sauce sera mangée Vivendi ? », écrit-on pour la première fois dans notre numéro 477 en début d’été 2002. « Vivendi : le feuilleton continue. La vente de L’Express à Dassault marque une recomposition bipolaire de la presse française et la cession réclamée par les banques de Houghton Mifflin étaie l’hypothèse de la cession de Vup », lit-on un peu plus tard dans Livres Hebdo 480. Dans un des premiers articles sur le sujet, cette phrase du rédacteur en chef de l'époque Pierre-Louis Rozynès, qui pourrait être écrite en 2021 : « Alors quoi de neuf chez Vivendi ? La routine : on a encore cédé des actifs dont on jurait la veille qu’il n’étaient pas à vendre puisque désormais, au siège, la règle est de ne plus communiquer ». Dans les pages du magazine, semaine après semaine, tout n’est encore que rumeurs, et il est majoritairement question de reventes de titres de presse, pas encore d’édition en tant que telle.

Jusqu’à la rentrée. Pour la première fois, l’affaire fait la Une de notre magazine avec un titre évocateur : The Vuppet show. « Vivendi se prépare à vendre sa branche édition », « Dans l’écheveau des rumeurs, seule une chose est sûre : Vivendi Universal veut vendre Vup. A qui ? A des fonds d’investissement américains ? Mais le Crédit lyonnais, qui détient le mandat de vente, a d’autres fers au feu… », « Jacques Chirac serait furieux contre le patronat qui n’auraient pas tenu compte de son message : l’édition française doit rester française », lit-on dans cette première double page sur le sujet. La piste privilégiée alors pour reprendre l’ancien empire de la CGE : les fonds d’investissements. Parmi eux : PAI Management, Eurazeo, Apax Partners, KKR…
Lagardère entre en jeu

Une semaine plus tard, le 20 septembre, coup de théâtre, le groupe Lagardère, dirigé alors par Jean-Luc Lagardère et Jean-Louis Lisimachio pour la filiale Hachette Livre, tente sa chance. « Ça se précise, mais aussi ça se corse », résume Pierre-Louis Rozynès dans notre numéro 482. « Nous ne sommes pas des financiers, ce n’est pas notre vocation de faire partie d’un tel ensemble. C’est sans complexe que nous déposons cette offre », assure alors Arnaud Lagardère, 40 ans à l’époque. Avant d’ajouter : « Nous savons que dans un certain nombre de domaines, nous dépasserons le seuil de concentration, mais nous avons des partenaires qui sauront résoudre ce point ». Car de la référence au scolaire en passant le poche et même la littérature générale, sans parler de la distribution, les questions de monopoles sont alors pour la première fois soulevées dans nos pages. Des premiers états des forces sont dressés. « Garder français le premier éditeur français justifie-t-il de précipiter l’édition française dans un quasi-monopole ? », se demande-t-on.
 
Quoiqu’il en soit, la candidature chamboule la désormais officielle cession de Vup. Et la fait trainer en longueur, alors que le conseil d’administration de Vivendi prévoyait une vente soldée au 25 septembre 2002. Pour ou contre Lagardère ? Le monde du livre entier semble devoir prendre position dans l'urgence. Les soutiens s’organisent, le président Chirac prenant part pour l’hypothèse Lagardère. Les salariés de Vup, eux, descendent dans la rue avec un mot d’ordre : non aux fonds d’investissement. De l'autre côté, les éditeurs lèvent leurs boucliers contre le monopole. Le Seuil, La Martinière Groupe, Média-Participations soutiennent le projet d’acquisition par les investisseurs de PAI. Et à la tête de Vivendi, c’est la panique. Jean-René Fourtou, successeur de Messier, se déclare défavorable, puis favorable, puis à nouveau défavorable à l’offre Lagardère... « Sens inné de la gaffe, ou manœuvres destinées à faire monter les enchères ?», lit-on dans notre numéro 484 du 4 octobre 2002.

S’ouvre alors la grande messe annuelle, la foire internationale du livre de Francfort. « Les Français ne parlaient que de Vivendi. Dans les allées, pro- et anti- Hachette se regardaient en chiens de faïence », écrit depuis l’Allemagne la journaliste Christine Ferrand. Entre Hachette et le Syndicat national de la librairie (SLF), vigoureusement opposé à la solution Lagardère, le ton monte. Nous sommes à la mi-octobre 2002. Les enchères pour le rachat de Vup montent, l’encre qui coule est de plus en plus acide, les acteurs du livres tentent, par tribunes et lettres interposées, de défendre leur position. « Cette année, à Francfort, l’édition française a la nausée, résume alors Pierre-Louis Rozynès dans un éditorial. Depuis des semaines, on assiste, effondrés, à un feuilleton assez faible mais qui met en lumière l’état de la France ».
 

Dans le prochain épisode de cette saga Vivendi-Lagardère : l’officialisation du rachat et l’entrée en jeu de Bruxelles.
 

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