La Cour de cassation, le 10 septembre 2015, a décidé de juger à contre-courant…. Ou à tout le moins de statuer sur la base du droit français applicable entre 1902 et 1910.
L’affaire portait sur deux Matisse, achetés au début du siècle par un industriel russe et qui avaient ensuite été déclarés collection publique par le camarade Lénine.
Or, la loi du 19 juillet 1793 – issue d’une autre fameuse Révolution ! -, telle que rédigée par une loi du 11 mars 1902, instituait un présomption de cession des droits de reproduction d’une œuvre d’art au profit de son acheteur. Et Matisse n’avait pas émis de réserve lors de la cession de ses deux toiles au profit du collectionneur slave.
L’arrière petit-fils de celui-ci, faute de pouvoir récupérer les toiles, en est donc venu à demander en justice d’être reconnu titulaire des droits de reproduction des deux tableaux et a poursuivi les héritiers de Matisse. Et de l’emporter devant la Cour d’appel de Paris, puis aujourd’hui la Cour de cassation ; laquelle précise que le décret russe de nationalisation de 1918 vise la seule propriété matérielle, qui était donc restée entre les mains de la famille du collectionneur…
Or, de nos jours – et, pour faire court, aux termes d’une loi française de 1910 - l’article L. 111-3 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) énonce clairement : « La propriété incorporelle définie par l’article L. 111-1 est indépendante de la propriété de l’objet matériel. L’acquéreur de cet objet n’est investi, du fait de cette acquisition, d’aucun des droits prévus par le présent code, sauf dans les cas prévus par les dispositions des deuxième et troisième alinéas de l’article L. 123-4. Ces droits subsistent en la personne de l’auteur ou de ses ayants droit qui, pourtant, ne pourront exiger du propriétaire de l’objet matériel la mise à leur disposition de cet objet pour l’exercice desdits droits. Néanmoins, en cas d’abus notoire du propriétaire empêchant l’exercice du droit de divulgation, le tribunal de grande instance peut prendre toute mesure appropriée, conformément aux dispositions de l’article L. 121-3. »
Le principe est donc limpide : la propriété matérielle du support d’une œuvre (manuscrit, fichier, Ektachrome, toile, etc.) n’emporte en rien la propriété des droits d’auteur. La propriété matérielle des rares dernières pellicules permet tout au plus d’étayer une argumentation sur l’auteur des clichés, présomption qui souffre bien évidemment la preuve contraire.
Quant aux musées, qui exigent de toucher des redevances en cas de reproduction des œuvres qu’ils détiennent, leur position de force ne tient que par un stratagème juridique. Les musées ne possèdent en effet que la propriété matérielle des œuvres et ne font donc pas payer un véritable droit de reproduction. En réalité, les redevances ne leur sont versées qu’en contrepartie d’un droit d’accès à l’œuvre.
La seule exception au principe d’indépendance entre propriété matérielle et propriété intellectuelle concerne, comme l’indique l’article L. 111-3 du CPI, le statut des œuvres posthumes.
À l’inverse, la cession de droits d’exploitation, qui nécessite la mise à disposition du support matériel, n’entraîne pas, sauf disposition contractuelle expresse, la cession de ce support matériel, qu’il s’agisse de manuscrits, d’illustrations historiques ou de fichiers de photos.