De Vincennes, on connaît le château, mais pas seulement. Depuis douze ans, cette ville de moins de 2 km2 est la seule en France à faire venir dans ses murs une soixantaine d’écrivains américains, tous les deux ans, lors de son festival America. Située dans le Val-de-Marne, à l’est de Paris, la commune bénéficie d’une politique du livre volontariste menée par la municipalité dirigée par Laurent Lafon (UDI), candidat à sa réélection.
Cette politique repose avant tout sur un triptyque original formé par l’étroite collaboration entre les trois piliers de la vie culturelle vincennoise : la librairie Millepages, le festival America et le réseau de médiathèques. Une dynamique rendue possible par un contexte socioculturel favorable à Vincennes, deuxième ville la plus dense de France avec 49 000 habitants. "Il y a beaucoup d’enseignants, de cadres, de professions libérales. Il y a un milieu en adhésion avec la culture et qui a les moyens économiques pour en profiter", précise Francis Geffard, P-DG de Millepages. Parallèlement éditeur chez Albin Michel, c’est lui qui est à l’origine de la vitalité culturelle de la ville.
En 1980, alors qu’il a 20 ans, ce Vincennois décide de fonder une librairie où les lecteurs peuvent se rencontrer. Millepages devient vite une véritable institution. Rencontres, dédicaces BD tous les week-ends… Avec 70 000 références et un chiffre d’affaires 2013 de 4,55 millions d’euros, la librairie se place à la 45e place du classement 2013 des librairies françaises de Livres Hebdo.
Des équipes municipales réquisitionnées.
Mais ce dynamisme va plus loin. La librairie a des liens avec les acteurs municipaux du livre. Elle organise par exemple depuis quatre ans une présentation d’une partie de la rentrée littéraire par les auteurs eux-mêmes, devant une centaine de bibliothécaires. La mairie soutient la librairie. Elle est exonérée de la taxe professionnelle dès 2010. C’est la ville qui loue l’emplacement à la librairie générale, un gage de pérennité pour l’établissement. Lorsqu’onlui demande si cette position hégémonique ne s’est pas faite au détriment d’une offre plus diversifiée de librairies, Gildas Lecoq, directeur de la communication de la mairie répond : "Millepages, c’est deux boutiques. On ne peut que se réjouir d’avoir des librairies aussi dynamiques, modernes, complètes dans une période si difficile pour ce genre d’entreprise. Si l’offre était insuffisante, d’autres librairies se seraient créées. Millepages répond même aux attentes des villes riveraines."C’est l’ensemble du tissu culturel de la ville que la librairie irrigue avec l’aide de la mairie. En 2002, Francis Geffard crée le festival biennal America, dédié aux littératures nord-américaines. La mairie prend en charge de 30 % du budget total. En plus de ces subventions, elle met gratuitement à la disposition du festival les lieux de la manifestation : salle de conférences, théâtre, auditorium… Les équipes municipales sont réquisitionnées aux côtés des quelque 300 bénévoles.
C’est que la mairie a tout de suite décidé d’utiliser le festival pour promouvoir la lecture et a mis en place des événements qui s’appuient sur lui et en prolongent l’influence. Ainsi du prix des Lecteurs de Vincennes, remis par le maire en personne. Le livre récompensé est choisi par un jury de 15 lecteurs. Des animations sont aussi prévues pour le public plus jeune. Les deux structures municipales de Vincennes qui sont consacrées à ce public participent à des cafés littéraires. Deux ou trois jeunes interviewent un écrivain, tandis que d’autres filment la rencontre. Une bibliothèque de littérature jeunesse est installée pour que les parents puissent lire des histoires aux enfants.
A chaque festival, des rencontres ont lieu à Millepages. Librairie et festival s’enrichissent mutuellement : la librairie permet au festival d’être rattaché à un lieu bien connu des habitants et le festival "donne vie aux livres", selon Pascal Thuot, directeur général de Millepages et un des piliers d’America.
Les auteurs en résidence logés par la mairie.
Toujours dans le prolongement du festival, une autre initiative marque la vie culturelle de la ville : chaque année, depuis sept ans, America héberge à Vincennes un écrivain pendant quatre mois : les Américains Eddy L. Harris et Charles D’Ambrosio, l’Haïtien James Noël, la Canadienne Nancy Lee, la Cubaine Karla Suárez et bientôt la Québécoise Perrine Leblanc… C’est la mairie qui prend en charge le logement de l’auteur(e), qui bénéficie d’une bourse offerte par le CNL ou par America. Il ou elle travaille sur un projet d’écriture et consacre en contrepartie un tiers de son temps aux rencontres avec le public.Des petits-déjeuners sont organisés. "Les dix personnes qui ont pris le petit-déjeuner avec Bret Easton Ellis il y a quatre ans étaient contentes !" sourit Dominique Chevallier, responsable bénévole de la résidence d’auteur. L’écrivain anime des ateliers de traduction et des ateliers d’écriture hebdomadaires, notamment dans des établissements scolaires et des universités. "Ecrire en présence de l’écrivain stimule beaucoup les élèves, en particulier ceux qui par ailleurs ne sont pas très bons en anglais ou qui ne participent pas pendant le cours habituellement", témoigne Dominique Chevallier.
Ainsi, après l’atelier d’écriture animé par Nancy Lee dans un lycée, le professeur de la classe a constaté que jamais les élèves n’avaient appris avec autant d’enthousiasme : la rencontre avec l’écrivain en chair et en os a complètement changé leur point de vue par rapport à la matière, l’anglais, rapporte Dominique Chevallier. Au-delà des rencontres, l’auteur doit écrire une chronique mensuelle dans Vincennes Info, le journal municipal, une manière de faire partager son quotidien aux habitants.
Partenariat entre bibliothécaires,
documentalistes
et libraires.
La politique culturelle s’appuie également sur un réseau de quatre médiathèques, auquel la mairie consacre 45 % de son budget de fonctionnement pour la culture. Dans la principale, Cœur-de-ville, l’accent est mis sur la "convivialité", explique Brigitte Maury, directrice du réseau. Ici, un mur repeint en rouge vif, un gros canapé moelleux, là des chaises colorées pour les enfants. Tous les prêts sont automatisés. La médiathèque propose quelques tablettes et prêtera des liseuses en juin prochain.En partenariat avec les médiathèques, les CDI des collèges et la librairie Millepages, Ado’lire illustre la volonté de réunir les professionnels du livre. Des jeunes forment des clubs de lecture : ils se rencontrent à la médiathèque pour échanger, et écrivent une critique. Elles sont publiées par la médiathèque dans un "carnet lecteur" et dans une gazette distribuée aux clients de Millepages, et sont glissées dans les livres de la librairie et de la médiathèque. Une manière de rendre les jeunes eux-mêmes promoteurs de la lecture. Manon Quinti