« Je suis né en 1980, en pays acholi. Dans le Nord profond de l'Ouganda. » Ainsi s'exprime le héros d'un récit glaçant nous entraînant dans les sombres recoins humains. Son identité ? « Moi, Isaïe Yoweri, le Noir aux bicyclettes qui allait être père à trente et un ans. Un homme bien » qui a fui son passé pour exister au présent. Installé à Barcelone, il se dit pourtant « l'imposteur de sa propre vie, redoutant d'être expulsé du monde fragile qu'il est parvenu à construire. » La visite de son ami d'antan, Emmanuel, précipite les choses. Cet éternel survivant lui demande de contribuer à l'union ougandaise. Pour cela, Isaïe devra témoigner de l'évolution positive des enfants-soldats dans la société.
En réalité, il est chargé d'appâter d'anciens leaders d'une armée de résistance. Cette mission obligerait Isaïe à retourner au pays de ses pires démons. Un mélange d'engrenage et de chantage... « Avant les années terribles, j'étais un enfant heureux, refusant d'admettre que le bonheur agonisait autour de moi. » Y compris au sein de sa famille, où son père et son frère se déchiraient en raison de divergences politiques. Lorsque leur village est attaqué, Isaïe est propulsé dans un univers gouverné par la violence, la perversité, la trahison et l'horreur. « Que gagnent les adultes qui volent des enfances ? » Particulièrement le terrifiant MF, qui instrumentalisait les enfants-soldats. « Quel mal pouvons-nous supporter sans être brisés intérieurement ? » Isaïe sait qu'il doit crever l'abcès de cette période, qui rime aussi avec son premier amour, la sorcière Lawino. « La vérité n'a ni ornements ni trucs, elle est nue, décharnée, aride. »
Raison de plus pour confronter passé et présent. « Je suis un homme. Je ne suis plus un enfant », réalise Isaïe. Ils devraient « s'unir étroitement car, cette guerre intérieure, ils ne pouvaient pas la perdre. » Víctor del Árbol, qui a jadis étudié l'histoire, fouille ses dégâts sur le long terme. Ses polars ont planté leurs griffes dans les griefs de la mémoire. Celle qui nous fait défaut ou celle qui nous empêche de vivre. Ici, il nous livre un roman très différent sur le plan politique et psychologique. Inspiré par Joseph Conrad, il nous rappelle qu'on « ne peut combattre la mort qu'avec la vie ».
Avant les années terribles Traduit de l'espagnol par Claude Bleton
Actes Sud
Tirage: 21 500 ex.
Prix: 23 € ; 400 p.
ISBN: 9782330153168