27 août > Roman France

Pour un écrivain "de métier", un brave type facilement content mais un peu dépressif depuis que sa compagne l’a quitté, cette résidence pouvait passer pour une aubaine. Les gens qui l’avaient sélectionné, un couple de libraires sympas, Michel et Marie, avec leur employée Nadège, étaient des fans de ses livres. Ils avaient convaincu le maire, un crétin grotesque et pompeux, de l’inviter, tous frais payés, un mois à Donzières, une petite ville de deux mille âmes entre la Nièvre et le Morvan. En contrepartie, l’écrivain - salué "national" par l’édile pour qui il participait d’un plan de communication destiné à faire oublier le dossier à risque de la construction d’une scierie industrielle qui massacrerait une partie de la forêt - acceptait de participer à force banquets et libations, et à tout un tas d’animations littéraires. Ateliers d’écriture, rencontres avec des lecteurs (souvent des lectrices) en librairie ou en bibliothèque, des élèves du lycée hôtelier… Tout cela est très tendance et, en principe, plutôt agréable.

Alors, pourquoi ce séjour paradisiaque va-t-il tourner au cauchemar, à l’angoisse ? Parce que, dès son arrivée, l’écrivain découvre dans le journal la photo d’une certaine Dora. Une jeune marginale venue de Hongrie, bouquiniste amateur qui, avec son copain Aurélik - arrêté -, est soupçonnée d’avoir tué le Commodore, un ex de l’Indo devenu richissime, connu pour son goût de la provocation : les jeunes étaient ses locataires, et il avait décidé de vendre ses terres pour la scierie. Il avait donc de nombreux ennemis. Mais quel intérêt aurait eu Aurélik à l’assassiner ? Et le vieux est-il seulement mort, son cadavre n’ayant pas été retrouvé ?

Toujours est-il que, d’une façon particulièrement maladroite, l’écrivain va mener son enquête personnelle, au mépris de tous et de tout : légalité, gendarmes, maire, autochtones… Tout ça parce qu’il est fasciné, puis raide amoureux de l’énigmatique Dora. "Elle me convoquait", dit-il. Il songe même, plutôt que de raconter son bonheur à Donzières dans le quotidien régional - encore un engagement contractuel -, à tirer un livre de cette histoire.

Le temps est exécrable, les rapports avec ses hôtes - parfaitement au courant de tous ses déplacements, de ses fréquentations, et les désapprouvant - se dégradent de plus en plus, ses prestations littéraires sont désastreuses. On lui demande de faire écrire des illettrés, il se fait agresser par des lectrices hystériques qui trouvent antipathique tel de ses héros, n’aiment pas la fin d’un de ses romans, laissée "ouverte" exprès par l’écrivain…

Reverra-t-il un jour sa Normandie, ou sera-t-il, à son tour, victime d’un "fait divers" ? Serge Joncour, ici encore, a laissé "ouverte" la fin de son livre, en résolvant quand même l’énigme de la disparition du Commodore. Le roman, sans doute un tantinet autofictionnel, se déguste à la fois comme un polar simenonien et comme une satire aigre-douce de la vie de l’écrivain moderne, "national" ou pas.

Jean-Claude Perrier

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