25 février > Histoire Suisse

Pour un Occidental, un kamikaze est un fanatique. Pierre-François Souyri et Constance Sereni expliquent que c’est plus compliqué. Car on ne peut comprendre ces pilotes suicidaires sans le nationalisme nippon, la rhétorique guerrière du Japon classique et la soumission aux ordres.

Dans cette enquête, ces deux enseignants à l’université de Genève sont allés à la recherche de quelques-uns de ces destins hors norme. Ils mettent en évidence l’absurdité d’un système avec des pilotes de moins en moins bien formés - pourquoi les instruire puisqu’ils sont condamnés ? - qui attendent dans leur unité le premier ordre de mission qui sera aussi le dernier.

Les lettres de ces aviateurs écrites sous la censure et reproduites dans la dernière partie du livre laissent transparaître la souffrance derrière l’honneur de mourir pour la patrie. A priori, à 23 ans et tout juste marié, on a autre chose à faire que de s’exploser sur le pont d’un navire.

En provoquant la peur panique chez les Américains par cette détermination sans bornes, les Japonais ont sûrement contribué à justifier la décision du largage des deux bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki. Il faut aussi prendre en compte les torpilles humaines Kaiten et les bombes volantes - humaines elles aussi - dénommées Oka qui furent des armes uniques durant la Seconde Guerre mondiale, utilisables une seule fois et impliquant la mort de ceux qui les manipulaient.

Qu’un officier ait exigé de ses soldats un tel sacrifice est proprement sidérant. Le vice-amiral Onishi Takijirô, le "père des kamikazes", se suicida après la reddition du Japon, autant pour rejoindre symboliquement ces jeunes garçons - le plus jeune avait 17 ans ! - morts dans la carlingue de leur Zéro que pour éviter d’avoir des comptes à rendre. Car, depuis le 24 octobre 1944, date de la première attaque officielle des kamikazes qui coula un porte-avions américain, l’efficacité de ces raids suicides fut plus psychologique que militaire. Néanmoins, dans un pays acquis à l’idée du salut national par une mort collective, il fut mis en place un endoctrinement sévère accompagné de brimades impitoyables pour les récalcitrants.

En lisant ce travail passionnant, on ne peut éviter de penser aux fanatiques qui se font aujourd’hui exploser en Afghanistan, en Irak ou ailleurs. Le système est identique, l’abrutissement semblable et la part de libre arbitre tout aussi mince. Les auteurs distinguent néanmoins ces militaires qui visaient des cibles militaires alors que les terroristes s’en prennent aux civils. En japonais, "kamikaze" peut se traduire par "vent divin". En réalité, c’est surtout un vent d’incommensurable folie qui souffle sur ces pratiques meurtrières. L. L.

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