Cela fait cinq ans qu'est paru Le consentement. Imaginiez-vous un seul instant ce qui se passerait avec ce livre ?
Évidemment non. Et je n'y étais pas du tout préparée psychologiquement. J'avais cependant senti, en décembre 2019, les choses basculer, après la parution d'une enquête dans M, le magazine du Monde. Ce fut un véritable tsunami médiatique, le livre ayant connu un traitement sociétal plus que littéraire. Je suis très fière aujourd'hui que la notion de consentement soit chevillée au corps de la jeunesse, c'est une réussite magnifique, une victoire, même si je ne me considère pas comme une militante. Mon livre n'était ni un règlement de comptes, ni une vengeance, et j'ai été un peu dépassée par ses conséquences. Il a fallu vivre avec tout ça, mais j'ai été très entourée, chez moi et par mes éditeurs.
Le consentement a connu une vie longue, qui vous a occupée durant toutes ces années...
En effet. En France, il s'est vendu à environ 380 000 exemplaires, toutes éditions confondues. Il est traduit dans trente pays, dont certains où je me suis rendue, comme la Tchéquie, bien sûr. Mais à un moment, il faut arrêter et passer à autre chose. Le livre est sorti en Livre de Poche en 2021, en même temps que celui de Camille Kouchner sur l'inceste dont son frère avait été victime. Nos thématiques étaient connexes, c'est comme un relais qui se serait mis en place dans le pays. Ensuite, le texte a été adapté, d'abord au théâtre, à l'automne 2023. À l'Espace Pierre Cardin, puis au théâtre du Rond-Point, mis en scène par Sébastien Davis. C'est Ludivine Sagnier qui interprétait mon rôle. Je n'ai pas du tout participé à l'écriture, c'était un nouvel assemblage du texte. Ensuite, il y a eu le film, en octobre 2023. Là, la réalisatrice, Vanessa Filho, m'a sollicitée pour relire le scénario. J'avais un rôle de conseillère. Le film, différemment apprécié par la critique, a été un énorme succès, avec environ 700 000 entrées. C'est Kim Higelin qui jouait mon rôle. Elle avait 20 ans à l'époque. Passionnée par l'histoire, engagée, c'était quelque chose d'important pour elle. Le film a été l'objet d'un vrai phénomène sur TikTok, les jeunes s'en sont emparés, et ont ensuite découvert le livre.
Mais après, il vous a fallu passer au redouté deuxième livre...
Oui, j'ai commencé Patronyme en juin 2022. Entre-temps, j'avais commencé un roman féministe historique, qui deviendra peut-être un scénario. Je n'étais pas prête pour la forme romanesque. Ce sont les livres qui vous choisissent, et pas l'inverse. La période 2020-2021 a été compliquée pour moi. En octobre 2019, j'avais été nommée à la direction de Julliard. Je devais en même temps m'occuper de ma famille, de la maison d'édition, en concevant ma première rentrée littéraire, et continuer la promotion du Consentement. C'était un conflit de loyauté. J'ai donc quitté mon poste chez Julliard le 1er novembre 2021, passant le relais à Stéphanie Chevrier, tout en accompagnant mes auteurs. En 2023, j'ai créé la collection « Fauteuse de trouble » dont le propos est de donner la parole à des autrices et auteurs féministes, en publiant des textes intimes et politiques. J'y ai publié Ovidie, Emma Becker et Océan. Elle est actuellement un peu en sommeil, mais j'aimerais la relancer. Adrien Bosc, le nouveau directeur de Julliard, a très envie qu'on continue. Mais j'ai plein de projets d'écriture. Le consentement m'a autorisée à écrire. M'a-t-il donné une légitimité ? Ça, c'est autre chose !
Écrire Patronyme s'est imposé à vous, comme une nécessité ?
Absolument. La mort de mon père a été le déclencheur. Et, symboliquement, le livre dure le temps nécessaire pour que je vide son appartement. Et c'est dans cet appartement, où mon père, que je n'avais pas revu depuis une dizaine d'années, vivait en clochard, que je découvre des objets, des documents sur mon grand-père Joseph. J'ai donc décidé de me lancer sur leurs traces, avec un besoin irrépressible de mener une enquête qui me prendra du temps, me conduira en Tchéquie, dans la région des Sudètes dont Joseph, qui s'appelait en fait Josef Springer, était originaire, puis en Allemagne, où il a vécu, avant d'être envoyé en France faire la guerre. Mon livre est construit comme des poupées gigognes. Je pensais écrire un livre sur mon père, et j'ai fini par écrire un livre sur mon grand-père.
Sur votre père, vous portez un jugement d'abord peu amène, puis, à la fin du livre, plus tempéré.
Contre lui, qui m'avait abandonnée enfant, avait fait souffrir ma mère, j'éprouvais de la colère et du ressentiment. C'était un séducteur effroyable, un manipulateur, un mythomane, un antisémite, un salaud, mais avec des circonstances atténuantes, que j'ai découvertes. Il était probablement homosexuel, d'où son histoire avec Karimo, l'Algérien, que j'ai connu. Mais il en avait certainement honte et l'a dissimulé, surtout à son père, qui était un peu le héros viril de la famille jusqu'à ce que je découvre qu'il s'était inscrit, jeune, au NSDAP, le parti nazi. Il a été ensuite policier à Berlin, avant de faire partie de la Wehrmacht, pas des SS ni de la Gestapo, et d'être envoyé en France. Mon père a su et compris tout ça très jeune. Il lui a fallu vivre avec, d'où cette haine de lui-même et cette spirale d'autodestruction.
Votre livre, comme son titre l'indique, est centré autour du nom, de votre nom ?
Oui, on ne peut vivre sans son histoire familiale. La question du nom est centrale. Elle induit celles de la nationalité, de la patrie et du patriotisme. Voire du nationalisme. Tout cela me renvoie à l'actualité la plus immédiate : le retour de la guerre, des extrémismes, de la haine de l'autre (les féministes, les LGBT+...). La question de l'identité nous fonde, mais elle peut aussi nous figer, nous amener à adhérer à des idées qui ne sont pas les nôtres. Toujours la question de l'appartenance, et du consentement.
Patronyme
Grasset
Tirage: 50 000 ex.
Prix: 22 € ; 400 p.
ISBN: 9782246840350