Alain Bonnand est un drôle d'oiseau qui ne fait rien comme tout le monde. Le testament syrien, son nouveau livre à paraître chez Ecriture, se compose d'un ensemble de "lettres électroniques au philosophe nihiliste, joueur d'échecs et de ping-pong, Roland Jaccard". Son "Roland électronique", qui fut à deux reprises son éditeur aux Puf, le temps de Je vous adore si vous voulez (2003) et d'Il faut jouir, Edith (2004).
L'écrivain au style brillant et concis a un pied dans deux villes. A Reims, il habite non loin d'une librairie qui par trois fois a changé d'enseigne. A Damas, celui pour qui "la rue arabe" est "inventive" loge à deux immeubles de la mosquée. De son balcon, il regarde le balayeur qui abandonne sa poubelle rouge et vert à deux tonneaux pour aller s'allonger derrière un arbre, le passage de "l'enfumeuse à moustique", ou celui de femmes soldats.
L'auteur de Feu mon histoire d'amour (Grasset, 1989) ne se laisse pas dépérir et se nourrit de grosses moules, d'omelette ou d'ossobuco. Le football est l'une de ses marottes : il reconnaît volontiers apprécier celui pratiqué par Sedan, un football "de récréation qui fait plaisir au poète en même temps qu'à l'ouvrier". A sa fille Andrée, manifestement déjà douée pour les petits ponts et les contre-pieds, il apprend également l'art du dribble.
Bibliophile toujours prêt à acquérir une belle édition, notre homme lit beaucoup - de Léautaud à Paul Gégauff, de Jean-Louis Vaudoyer à Nicolas Bouvier -, glissant au passage que Richard Millet est à ses yeux "sans doute l'auteur français qui a aujourd'hui à sa disposition les plus beaux moyens littéraires".
Bonnand, découvert par Le Dilettante en 1985 avec un petit volume de nouvelles devenu culte, Les jambes d'Emilienne ne mènent à rien, signe ici quarante-sept lettres. En émergent le père, l'ami, le séducteur et l'amateur éclairé de littérature. Laissez-vous aller, c'est une valse.