Les langues mortes nous rappellent que nous sommes vivants, que cette vie-là, nous la leur devons un peu et sans doute plus encore. Andrea Marcolongo avait bien exprimé sa dette à l’endroit de ce qu’elle nommait La langue géniale (Les Belles Lettres, 2018), à savoir le grec ancien. Son plaidoyer, présent six semaines parmi les meilleures ventes d’essais, a visiblement touché les lecteurs. Nicola Gardini, lui aussi italien, fait de même avec le latin. Mais à la différence de l’ex-plume de Matteo Renzi, il ne va pas jusqu’à en faire un mode de vie. Gardini est professeur, notamment à Oxford, il tient à le rappeler et cela se sent un peu. Il y a un petit côté "ouvrez votre Cicéron" dans sa démarche. Mais bien vite le ton docte disparaît pour celui du plaisir. Celui de raconter en premier lieu cette langue ancienne "d’une parfaite limpidité mais dont on ne voyait pas aisément le fond". Gardini observe comment elle se réincarne dans les mots les plus quotidiens. Connaître le latin, c’est savoir jouer avec sa propre langue, c’est lire ceux qui l'ont fait vivre: Cicéron y cherche le vrai, Virgile le vertige de la syntaxe, Lucrèce l’utilise pour décrire et classer, Catulle pour y souffler des gros mots. Cet essai délicat, où toutes les citations sont traduites, ce qui n’était pas le cas chez Andrea Marcolongo, est un livre de passion. Gardini s’insurge contre une certaine arrogance. "Appeler langue morte une langue écrite qui n’est plus parlée, c’est nier les pouvoirs de la lecture, c’est nuire aux pratiques du savoir." Et c’est chez Virgile qu’il trouve la parade, puisque l’amour triomphe de tout: "Omnia vincit amor". Laurent Lemire