BookExpo America

USA : pourquoi ça va mieux

New York. - Photo Fabrice Piault/LH

USA : pourquoi ça va mieux

Après cinq ans d’un grand chambardement qui les a placés dans une incertitude permanente, les éditeurs américains retrouvent depuis l’an dernier un environnement et un marché plus stables. Etat des lieux au lendemain du salon professionnel BookExpo America, qui s’est déroulé du 27 au 29 mai à New York.

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Par Fabrice Piault,
Créé le 05.06.2015 à 13h30

Tout est plus petit : la surface des stands, les salles de réunion et jusqu’aux sacs en toile distribués aux libraires par les éditeurs pour le transport des nouveautés de la rentrée. La grande foire professionnelle BookExpo America présente une nouvelle fois, du 27 au 29 mai à New York, le visage d’une industrie resserrée. Une décennie de maelström numérique, qui a coûté la vie à Borders, la deuxième chaîne de librairie du pays, a laissé les éditeurs américains sonnés. "Nous avons dû beaucoup nous adapter, tous les ans, en fonction de l’essor des ventes de livres numériques, rappelle la P-DG de Simon & Schuster, Carolyn Reidy. Maisaujourd’hui, se félicite-t-elle, beaucoup d’inquiétudes ont été levées, et nous pouvons nous concentrer sur nos livres."

"Nous devons nous assurer que les bons auteurs ne s’autoéditent pas, et prouver que nous servons bien à quelque chose." Carolyn Reidy, Simon & Schuster- Photo FABRICE PIAULT/LH

Plus de stabilité

Pour la première fois depuis au moins six ans, les éditeurs affichent une relative sérénité. Hors Penguin Random House, pris dans un bras de fer, les grands groupes, ont tous renégocié au cours des derniers mois les termes de leur contrat avec Amazon, leur principal client. "L’environnement est plus stable, explique le P-DG du groupe d’édition et de distribution Perseus, David Steinberger. Le numérique ne se développe plus, les libraires indépendants se sont consolidés. Nous perdons moins de temps à tout réinventer. Nous pouvons enfin nous reconcentrer sur nos développements éditoriaux et sur leur mise en œuvre grâce au marketing et aux réseaux sociaux." Perseus organise d’ailleurs pour la première fois ce mois de juin un séminaire de l’ensemble de ses éditeurs. "Avant le marketing, le plus important reste le moment où l’on acquiert les droits de publication d’un livre, plaide David Steinberger. Il faut savoir comment acheter les bons livres et s’attacher les bons auteurs." Hachette Book Group (HBG) repart aussi à l’offensive. Il a racheté Black Dog & Levanthal, qui le renforce dans le livre illustré, et crée une marque Hachette Books pour publier de la non-fiction commerciale (Mémoires, biographies…). "Hachette ne doit pas être seulement notre actionnaire mais aussi une marque avec un catalogue", justifie le P-DG d’HBG, Michael Pietsch.

"C’est vraiment extraordinaire. On n’a pas vu cela depuis des décennies. Les libraires indépendants peuvent vraiment "faire" un livre, assurer son succès. Ils sont à nouveau leaders." Dan Simon, Seven Stories- Photo FABRICE PIAULT/LH

Le marché incite à l’initiative. Selon l’Association of American Publishers (AAP, association des éditeurs américains), après une stagnation en 2013, les ventes de livres auraient progressé de 4,9 % l’an dernier. P-DG de la petite maison indépendante Seven Stories, Dan Simon a connu en 2014 une année "exceptionnelle" même si 2015 s’annonce plus difficile. Pour Jack Jensen, le P-DG de Chronicle Books, qui se situe sur le segment porteur du livre illustré, l’activité est même "la meilleure [qu’il ait] jamais connue". "Le livre retrouve une valeur dans le public, poursuit-il. Dans les circuits non spécialisés, qui réalisent plus de 50 % de nos ventes, de plus en plus de détaillants considèrent le livre comme une offre complémentaire qui valorise leur magasin."

Le marché reste fragile

Cependant, "si on exclut Divergente, les livres de John Green et Hunger games, les trois grands succès de 2014, le marché n’est pas si extraordinaire, tempère la P-DG de Simon & Schuster, Carolyn Reidy. Il reste très fragile." Le P-DG d’Hachette Book Group le juge "stable". Chez Seven Stories, Dan Simon admet que "les titres de moyenne vente, qui constituent le cœur de notre activité, continuent de plonger. La lecture recule, estime-t-il. Les gens sont très excités par les livres, mais leur attention ne dure pas longtemps."

Le tassement des ventes de livres numériques, à - 6 %, hors autoédition l’an dernier, selon Nielsen, est le principal signal de l’ouverture d’une nouvelle période pour l’édition américaine. Chez Seven Stories, la part du numérique a reculé de 20 % en 2013 à 18 % en 2014, et même de 15 % début 2015, sa part de marché toutes catégories de livres confondues, selon Nielsen Bookscan. "Les gens consomment du numérique toute la journée. Le livre imprimé les repose", estime le P-DG de Chronicle, Jack Jensen. "Le livre numérique n’a plus l’avantage de la modernité, ajoute le P-DG d’HBG, Michael Pietsch. Après qu’il y a eu beaucoup d’excitation autour des nouveaux appareils, les gens réalisent finalement qu’ils aiment bien avoir des livres sur leurs étagères, les lire et les offrir."

Le numérique s’est pourtant rendu indispensable aux éditeurs. "Le seul livre que je n’ai pas publié simultanément en ebook, The graphic canon, panorama en quatre volumes de la littérature graphique, a eu un énorme écho médiatique et un grand succès. Mais l’impossibilité de l’acquérir d’un simple clic l’a empêché de devenir un phénomène, regrette le P-DG de Seven Stories, Dan Simon. La combinaison vente physique, vente numérique accélère et élargit considérablement le bouche-à-oreille." En outre, le numérique, c’est "zéro stocks, zéro retours et des livres toujours disponibles".

Le ebook à un palier

Chez Simon & Schuster, comme dans tous les grands groupes d’édition généralistes ("trade"), le numérique représente tout de même 26 % du chiffre d’affaires (HBG : 25 %). Une moyenne, avec des écarts qui peuvent aller de 5 % en jeunesse à 50 à 70 % en fiction. "Autant la fiction, avec sa lecture linéaire, se prête bien au numérique, autant la non-fiction, qui suscite plus d’allers et retours sur le texte, reste plus attachée au papier", précise Carolyn Reidy. "Non seulement le numérique ne progresse plus, mais il n’est pas adapté à tout", confirme David Steinberger (1). Et de souligner le contraste entre les littératures de genre comme le sentimental, la fantasy ou le polar, où le numérique domine, et la non-fiction, où il plafonne. Chez Perseus, dont les essais et documents sont le point fort, le numérique ne représente "que" 15 % du chiffre d’affaires. "Le numérique a atteint un palier, on voit qu’il ne remplacera pas le livre", observe Jack Jensen, dont la maison de livres illustrés réalise moins de 5 % de son chiffre d’affaires avec le numérique. Chez Chronicle Books, les ventes de livres physiques progressent beaucoup plus fortement.

Le papier résiste dans de nombreux domaines, d’autant que, comme le rappelle Michael Pietsch, "l’imprimerie s’est beaucoup améliorée et on peut faire plus facilement de petits tirages". Seul le poche populaire "mass market" a été littéralement laminé. Dans ce domaine, "on trouve toujours un ebook moins cher", observe Carolyn Reidy. Pour elle, c’est aujourd’hui l’autoédition qui est la principale menace, d’autant qu’elle constitue une concurrence sur le temps de lecture. "Nous devons nous assurer que les bons auteurs ne s’autoéditent pas, et prouver que nous servons bien à quelque chose", souligne-t-elle.

La librairie en forme

Pour David Steinberger, chez Perseus, "l’aide à la découverte des livres demeure un défi car il n’y a pas assez de librairies". Mais le redressement de la librairie indépendante amorcé il y a trois ans (2) se poursuit. L’American Booksellers Association (ABA, association des libraires américains) revendique 1 712 adhérents et 2 227 librairies au 15 mai 2015, contre 1 664 et 2 094 un an plus tôt, avec une part de marché de 8 à 10 % selon les sources. Surtout, "lorsque des libraires prennent leur retraite, ils ne sont plus obligés de fermer et parviennent à trouver des repreneurs : la librairie redevient une activité attractive, perçue comme viable, se félicite le directeur général de l’ABA, Oren Teicher. En outre, poursuit-il, les nouveaux propriétaires sont plus jeunes, mieux préparés, plus imprégnés des nouvelles technologies et des enjeux de la relation client. Cela contribue à régénérer le réseau." Selon une étude de l’ABA portant sur 560 librairies, les indépendants ont affiché une croissance à un an d’intervalle pendant 47 semaines sur 52 en 2014, et pendant 17 sur les 19 premières semaines de 2015.

"Le réseau de librairies n’a jamais été aussi efficace depuis quinze ans", salue le P-DG de Chronicle Books, Jack Jensen. "La nouvelle génération de libraires lui apporte une nouvelle énergie", s’émerveille celui d’Hachette, Michael Pietsch. "C’est vraiment extraordinaire, s’exclame Dan Simon chez Seven Stories. On n’a pas vu cela depuis des décennies. Les libraires indépendants peuvent vraiment "faire" un livre, assurer son succès. Ils sont à nouveau leaders."

La formule gagnante des libraires américains reste la même, selon Oren Teicher : tirer parti du mouvement "buy local" ("achetez local"), très puissant aux Etats-Unis ; utiliser intelligemment les nouvelles technologies en gestion et marketing via les réseaux sociaux ; faire reconnaître par les éditeurs le rôle des indépendants pour la découverte de nouveaux livres ; développer une approche entrepreneuriale offensive. "Il y a quatre ans, quand les médias parlaient des librairies indépendantes, ils ajoutaient toujours "en danger", se souvient le directeur général de l’ABA. Ce n’est plus le cas."

La jeunesse tire le secteur

L’amélioration du climat économique joue aussi son rôle. Il bénéficie d’abord au livre jeunesse, "vraiment la locomotive du secteur", pour le P-DG d’HBG, Michael Pietsch. D’après Nielsen Bookscan, les ventes d’ouvrages jeunesse ont crû en 2014 de 12 % en fiction et de 16 % en non-fiction quand, côté adultes, la fiction stagnait à + 1 % et que la non-fiction reculait de 8 %. Le label Triangle Presse, lancé il y a deux ans par Seven Stories, démarre fort. Perseus vient de lancer une ligne de livres pour jeunes adultes en synergie avec YouTube. "Les éditeurs sont plus attentifs aux interactions de leurs titres avec les autres médias, note David Steinberger. Le cross marketing et les réseaux offrent beaucoup plus d’opportunités que par le passé d’établir des liens entre les livres et le public." d

(1) Voir aussi "Etats-Unis : ce qu’on sait maintenant du marché numérique", LH 958 du 14.6.2013, p. 16-18.

(2) Voir notamment notre interview du président de l’American Booksellers Association (ABA), l’association des libraires américains, Steve Bercu, dans LH 960 du 28.6.2013, p. 22-23.

BookExpo America : la révolution permanente

 

La foire professionnelle compte sur son nouveau pendant grand public BookCon pour assurer son avenir.

 

BookCon a accueilli le grand public pendant deux jours sur un tiers de la surface de stands de BEA.- Photo FABRICE PIAULT/LH

Directeur de BookExpo America, Steven Rosato l’admet : c’est grâce à la Chine, invitée d’honneur, que la grande foire professionnelle américaine a pu afficher cette année, du 27 au 29 mai, une surface en hausse de 5 % par rapport à l’an dernier. Dans une grande démonstration de force, l’édition et le gouvernement chinois ont occupé 2 000 m2 de stands, soit quelque 15 % de la surface totale (1). Un déploiement inédit que la Pologne, invitée l’an prochain, ne reproduira pas.

Année après année, BEA se concentre. Les nouveaux moyens de communication la rendent moins indispensable dans la relation libraires-éditeurs. Ces derniers ont réduit leurs stands, pensés comme des lieux de rendez-vous. Le Bureau international de l’édition française (Bief), lui, est absent depuis 2012 même si plusieurs éditeurs de l’Hexagone viennent en visiteurs. Reed Exhibitions, propriétaire de la foire (2), multiplie les expériences pour tenter de trouver la bonne formule.

Nouveauté 2015, BEA s’est déplacée vers le milieu de semaine, ouvrant le mercredi à 13 h pour fermer le vendredi à 17 h. Corollaire inévitable : un début de foire très, très calme. Les éditeurs ont dû attendre le jeudi matin pour voir déferler les libraires. Steven Rosato juge toutefois être parvenu à un bon équilibre. "Nous limitons la durée de la foire dans le temps, comme nous le demandent les exposants, tout en la séparant bien du festival grand public que nous développons depuis deux ans", explique-t-il.

Jusqu’à 35 dollars l’entrée

Prudemment initiée avec 2 000 visiteurs sur une journée en 2013, étendue l’an dernier avec 10 000, l’ouverture au grand public sous le label BookCon est au cœur de la stratégie du groupe, qui a transféré sa gestion à sa division ad hoc, Reed Pop. Celle-ci attendait cette année, sur deux jours et un tiers de la surface de stands de BEA, soit 3 000 m2, 15 000 à 20 000 "fans" malgré un ticket d’entrée à 35 dollars le samedi, et à 30 le dimanche (5 pour les enfants).

Principale cible de Reed Pop : les jeunes de 18 à 35 ans, pour lesquels un important programme d’animations et de rencontres avec les auteurs a été conçu. Selon Lance Fensterman, senior vice-président chez Reed Exhibitions et patron de Reed Pop, "d’ici à cinq ans, nous aurons inversé les choses : BookCon ne sera plus une annexe de BEA, mais la locomotive derrière laquelle la foire professionnelle pourra jouer son rôle propre."

(1) Voir "La Chine à la conquête de BookExpo America" sur Livreshebo.fr.

(2) Reed est par ailleurs l’organisateur de la London Book Fair, des Foires du livre de Tokyo et de Vienne, de la Foire du livre jeunesse de Shanghai et du Salon du livre de Paris.


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