On rêve tous un jour de tout plaquer, de tout recommencer en faisant table rase du passé, de s'aventurer dans un ailleurs plus prometteur. Josie se jette à l'eau. « Elle en avait assez du drame inutile de la vie. » Divorcée, cette dentiste et mère de famille respectée y semble pourtant bien installée. Mais un jour, le vase déborde. Josie opte pour une solution extrême : louer un camping-car et embarquer ses enfants vers l'inconnu. « On peut partir sans devenir un déserteur, un fantôme. » Au contraire, peut-être est-ce salvateur de tenter une aventure à vive allure. Assoiffée de liberté, l'héroïne désire offrir un peu de magie à Paul et Ana. L'aîné, si éveillé, « produisait l'impression que l'ordre s'était envolé, qu'il n'y avait ni passé, ni avenir ». Erreur, le passé colle toujours aux basques.
Josie a grandi avec des parents infirmiers, chargés de s'occuper de vétérans du Vietnam. Un drame fait toutefois éclater cette famille bienveillante. La fuite, toujours la fuite, comme un sparadrap qu'on colle trop vite sur les plaies. « Où étaient les héros ? Là d'où elle venait, Josie ne connaissait que des lâches. » Parmi eux, Carl, le père des petits. « Le sans-emploi, l'embrouillé », l'homme souvent invisible qui lui a volé de précieuses années. D'autres ont défilé depuis, sans jamais vraiment la combler. Elle aimerait tant retrouver sa naïveté perdue. A l'instar de sa fille, capable de nommer un poisson « Aime-l'eau ». Tout cela est très beau, si ce n'est que les enfants semblent perturbés par cet apprentissage sauvage, qui les a brusquement extraits de leur stabilité. « Je dois faire preuve de constance. Donnez-nous un tiers de confort et deux tiers de chaos - c'est cela, l'équilibre. » Ils vont être servis. A force d'être ballotté dans des paysages époustouflants, le trio va se frotter à la cruauté de la nature, si imprévisible. Une épopée qui les conduit vers « une terre de montagnes et de lumière », l'Alaska. Josie « adore la beauté de ce monde perdu. Elle était désormais alaskaine, ce qui signifiait une existence simple et linéaire axée sur le travail, les arbres et le ciel. »
Or depuis quand la vie est-elle linéaire ? Elle mène les héros au gré des obstacles et des rencontres. A travers elles, Dave Eggers dresse le portrait de son pays. « Etre américain, c'est être vide, et un vrai Américain est tellement vide. » Josie s'avère, au contraire, avide de vie et de renouveau. Ses enfants se montrent tantôt émerveillés, tantôt déstabilisés sur un socle éternellement mouvant. L'auteur y voit une quête plus existentielle. « Voilà peut-être la cause de toutes les névroses modernes, le fait que nous n'ayons pas d'identité fixe. Que toutes nos vérités fondatrices soient sujettes au changement. » Et parallèlement à mille et uns possibles. L'auteur du Cercle, de Zeitoun et du Grand Quoi (prix Médicis) a lui-même fondé une revue littéraire et une maison d'édition indépendante. L'indépendance étant justement le maître mot pour « atteindre quelque chose comme la sublimité ». Son héroïne nous montre, envers et contre tout, que « le courage était tout simplement une façon d'aller de l'avant. »
Les héros de la frontière - Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Juliette Bourdin
Gallimard
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 24 euros ; 400 p.
ISBN: 9782072790065