Par certains cadrages, la position des corps, une approche de la couleur, cette façon insaisissable de faire ressentir une atmosphère de bord de mer, le style d’Elizabeth Holleville évoque celui de Jean-Claude Denis. Du duo Dupuy et Berberian aussi, mais la jeune auteure née en 1988 construit, avec L’été fantôme, son premier roman graphique après les quatre contes rassemblés dans Lulu (La Corde rouge, 2015), son propre style. Il s’appuie sur un trait épais, sur un traitement subtil des ombres qui viennent répandre sur des cases aux couleurs assourdies une forme de mystère, mais aussi sur une réflexion sur l’usage de l’ellipse, au cœur du 9e art.
Louison, préadolescente pleine d’entrain, vient avec sa sœur aînée passer les vacances d’été chez sa grand-mère. L’arrivée, très attendue, de ses deux cousines, se solde pour elle par une déception: elles ont grandi, et les adolescentes qu’elles sont devenues recherchent plus la compagnie des garçons que celle de la petite dernière. Louison s’ennuie, jusqu’à ce qu’elle rencontre Lise, une fille de son âge qui se révèle être le fantôme de sa grand-tante disparue accidentellement.
Lise apparaît et disparaît. Les vacances de Louison prennent un tour fantastique qui fait écho aux mystères de la métamorphose adolescente. A mesure que son récit progresse, Elizabeth Holleville en accentue la dimension énigmatique, enchaînant les séquences très courtes, les épisodes concentrés sur une poignée de cases, voire une seule qui, loin d’accélérer le passage du temps, en soulignent l’épaisseur. Viennent s’enchevêtrer le temps de la grand-mère, qui s’enfuit avec sa mémoire, le temps irrémédiablement arrêté de Lise, le temps perturbé des adolescentes et celui de Louison, saisi au moment où tout est possible. Fabrice Piault