Edition

"L'extraordinaire force des pages qui suivent provient de l'inestimable témoignage qu'elles livrent. Si Guantanamo n'a jamais été caché, jamais il ne nous a été permis d'entrer ainsi au plus près et au plus effrayant de cette prison." Ainsi s’ouvre Les Carnets de Guantanamo, de Mohamedou Ould Slahi, qui paraît cette semaine dans 20 pays, après six ans d’obstacles semés par les autorités judiciaires américaines. En France, le livre sera publié jeudi 22 janvier par Michel Lafon.
 
Un long périple judiciaire
 
Les 466 pages manuscrites de son journal intime, rédigées à l’été 2005, sont immédiatement classées secret-défense par le gouvernement américain. Il faudra plus de six ans à ses avocats pour obtenir sa déclassification.
 
Le manuscrit, écrit en anglais, aura finalement fait l’objet de plus de 2 500 modifications de la part des autorités américaines avant publication. Il s’agit, d’après le Guardian, qui en a publié plusieurs extraits, de suppressions de mots ou de passages "dont le but officiel est de protéger des informations confidentielles, mais qui empêchent les lecteurs de connaître toute l’histoire".
 
Une affaire toujours en cours

En mars 2010, un juge fédéral américain avait blanchi Mohamedou Ould Slahi, et avait ouvert de fait la voie à sa libération. Mais l’administration américaine avait fait appel ; l’affaire est toujours en cours. 

L’auteur, un citoyen mauritanien de 44 ans, est détenu dans la base américaine de Guantanamo Bay depuis 13 ans, arrêté immédiatement après l’attaque contre le World Trade Center. Il a alors 30 ans et son parcours fait de lui le suspect idéal: en 1991 il partait s’entraîner en Afghanistan avec Al-Qaida, pour chasser les communistes de Kaboul et, après 12 années passées en Allemagne puis au Canada, il retourne vivre en Mauritanie. Le 20 novembre 2001, il se rend à la convocation de la police mauritanienne pour prouver sa bonne foi et pense l’affaire close.
 
C’est en réalité le début de l’enfer pour lui. Il est transféré de prison en prison par la CIA: Amman en Jordanie, Bagram en Afghanistan, Guantanamo enfin. Les interrogatoires sont sans fin, les tortures quotidiennes: coups, humiliations sexuelles, privation de sommeil, station debout, pendaisons par les mains, immersion dans de l’eau glacée… Mohamedou Ould Slahi, qui clamait sans relâche son innocence, commence peu à peu à répondre par l’affirmative à toutes les accusations. "Au cours de cette période, avoue-t-il à ses avocats, je noircis plus de mille pages de fausses informations sur mes amis." Il écrit: "Vous pouvez diviser mon histoire en deux étapes: 1.  Avant la torture (celle à laquelle je n'ai pas pu résister, j'entends): je leur disais la vérité, à savoir que je n'avais rien fait contre votre pays. Cette situation s'est prolongée jusqu'au 22 mai 2003. 2. Période de torture: après que j'eus cédé. Je répondais par l'affirmative à toutes les accusations".

13 ans après, Mohamedou Ould Slahi est toujours détenu, et n’a jamais été jugé. La publication de son journal intime dans le monde entier pourrait lui permettre d’entrevoir la fin de sa peine. 

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