Surveiller et punir est sans doute l’œuvre la plus connue de Michel Foucault ; rares sont ceux en revanche qui ont pu, en 1973, assister au cours qu’il consacra à La société punitive au Collège de France, et que les éditions du Seuil viennent de publier. C’est pourtant la matrice du texte qui verrait le jour en 1975 : ici, Foucault élabore pour la première fois la thèse selon laquelle la société capitaliste est essentiellement disciplinaire, et son système juridique indissociable du contrôle des «corps» ouvriers, faisant de la prison le pendant historique et fonctionnel du salaire dans la société industrielle.
Mais l’intérêt de cette transcription soignée (Bernard Harcourt y adjoint une mise en perspective du texte avec la pensée de Foucault ainsi qu’un puissant appareil de notes qui éclairent profondément le texte) ne s’arrête pas là. On y voit avant tout se déployer une pensée originale, en dialogue avec Hobbes et Marx, qui fustige à l’occasion les intellectuels et réfléchit sur la paresse autant que sur le contrat social et la guerre civile. Cette pensée sera reconstruite par la suite : Surveiller et punir laisse de côté certaines choses que les cours mettent en avant, et vice versa. C’est que les objectifs de Foucault sont toujours engagés dans une lutte. Le fait qu’il suggère en 1973, année du Larzac, que toute guerre civile est en réalité une confrontation politique, et que la logique légale est une logique de pouvoir se cachant derrière le contrat social, n’est pas anodin.
Le fait que son cours insiste sur le légalisme moderne comme une entreprise de moralisation bourgeoise sur les classes laborieuses, grimées en « classe sauvage, à la fois primitive et proche de la nature », alors que le débat sur le droit à l’avortement fait fureur, ne l’est pas non plus. Ces aspects seront modifiés dans Surveiller et punir. Mais ils nous font directement signe : la pensée de Foucault, virtuose, brillante, est un engagement permanent. Dans nos temps de caméras municipales et de défiance envers ceux qui ne se sédentarisent pas, elle reste d’une éclatante actualité.
Fanny Taillandier