22 SEPTEMBRE - HISTOIRE Suède

L'histoire est fragile, c'est ce qui en fait son prix. Elle est à manipuler avec précaution pour éviter de casser ce qu'elle pourrait nous dire. En s'appuyant sur divers témoignages, Peter Englung a voulu en retenir l'atmosphère. Et cette atmosphère prend ici le nom de boue, de larmes et de peur, autrement dit la Première Guerre mondiale peinte par ceux qui l'ont vécue.

Tout y est vrai ! Les vingt personnages inconnus ou oubliés, pourvu qu'ils aient laissé une trace écrite de leur existence dans la guerre, les multiples lieux qui s'étendent jusqu'à l'Afrique orientale et la Mésopotamie. Rien n'est laissé au hasard, tout est savamment orchestré. Peter Englund est un historien réputé dans son pays, notamment pour ses travaux sur les guerres anciennes et contemporaines. A 54 ans, il est aussi secrétaire perpétuel de l'Académie suédoise dont les dix-huit membres décernent chaque année le prix Nobel de littérature, ce qui en fait un notable des lettres.

Son livre ressemble à un puzzle. Chacune des 212 pièces, comme autant de chapitres de quelques pages, constitue une micro-histoire. Les vingt individus de toutes nationalités s'y montrent valeureux, fous, inconscients, effrayés, perdus ou même absents. A la fin, l'image de la guerre apparaît dans son ensemble, vaste et dévastatrice.

Dans ce paysage du passé, on découvre ainsi Michel Corday, 45 ans, socialiste, pacifiste, littérateur et fonctionnaire au ministère du Commerce et des Postes. "Cet homme réservé et moustachu est d'une certaine façon un intellectuel typique de ce début de siècle, à la double existence : ne pouvant vivre de sa plume, il doit gagner sa croûte dans un bureau."

D'août 1914 à novembre 1918, ces scènes d'une guerre pas ordinaire se succèdent chronologiquement et dessinent peu à peu ces vingt destins traversés par ce choc. Peter Englund ne revient pas sur les causes ou les conséquences de la Grande Guerre. "J'ai moins cherché à reconstruire un enchaînement d'événements qu'un monde sensible." En revanche, il multiplie les notes pour préciser un terme, une date, un fait, sans que le dispositif ne gêne la lecture.

Cette manière de traiter d'un événement majeur par sa plus petite composante rappelle son précédent livre traduit en français, Poltava : chronique d'un désastre (Esprit ouvert, 1999). Peter Englund y racontait heure par heure la bataille fatidique dans cette petite ville d'Ukraine qui allait en 1709 précipiter le déclin de la Suède de Charles XII et l'avènement de l'Empire russe de Pierre le Grand.

Dans l'immense historiographie de la Première Guerre mondiale, La boue, les larmes et la peur apparaît comme un objet historique non identifié, une construction inédite où l'individu révèle un peu de l'universel.

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