Fabrice Humbert est un romancier né. Un écrivain capable de poser un décor, de faire avancer son intrigue et ses personnages avec une aisance narrative évidente. Dans L’origine de la violence (Le Passage, 2009, repris au Livre de poche, prix Renaudot poche), il avait sondé sa famille paternelle pour en tirer une fiction mémorable. Le voici qui arrive dans la collection blanche de Gallimard avec le remarquable Eden utopie. Un livre autour duquel il a longtemps tourné, dont il a beaucoup cherché la forme. Pas un roman, bien qu’un texte d’un romanesque incroyable.
"L’histoire d’une famille n’a sans doute pas d’origine, simplement des figures qui s’estompent à mesure qu’on remonte dans le temps avant de s’éteindre tout à fait", écrit l’auteur de La fortune de Sila (Le Passage, 2010, repris au Livre de poche, prix RTL/Lire). Ce dernier a justement entrepris de remonter le temps. De faire le récit de sa famille maternelle. En évoquant d’abord trois hommes de religion protestante qui fondent en 1946, à Clamart, une communauté humaniste baptisée la Fraternité.
Fabrice Humbert s’intéresse également à deux figures importantes de son histoire. Il y a d’abord sa grand-mère. Madeleine a perdu tôt sa mère. Elle a fait un premier mariage peu heureux, eu trois enfants, traversé la Seconde Guerre mondiale, travaillé à l’Assistance publique et refait sa vie avec un ouvrier taiseux, André. L’autre "héroïne" du livre est la cousine germaine de Madeleine, qui la considère comme sa sœur. Sarah a épousé un homme à la carrière florissante, André. Des femmes, il y en a ici quelques autres, et non des moindres, comme la mère d’Humbert, Danièle, "mélange assez curieux de détermination et de négligence totale".
Secrétaire chez Renault, celle-ci est tombée amoureuse d’un juriste avec qui elle aura un fils, un certain Fabrice, né à Saint-Cloud en 1969. Il tient aujourd’hui la chronique d’une époque disparue dont il a en partie été le témoin. Eden utopie parle de la vie matérielle, des différences de classes et du sens du vent. On y accompagne le questionnement d’un adolescent, lecteur de Robert Sabatier et de Théophile Gautier, qui se demande comment sortir de l’imaginaire et se trouve à la croisée de plusieurs mondes. On y aperçoit Michel Rocard et Lionel Jospin. On y retrouve l’extrême gauche radicale et Action directe, mouvement extrémiste auquel est liée Elise, une parente de la mère de Fabrice Humbert.
Celui-ci montre de manière intime la transformation d’un pays, d’une société, à mesure qu’il questionne celle d’une double famille. L’occasion de signer son livre le plus accompli et le plus marquant. Al. F.