1er octobre > Roman Grande-Bretagne

S’il convient, dans le roman, de toujours dire d’où l’auteur s’adresse à son lecteur, Ian McEwan est sans secret apparent. Il nous parle des rivages de la grande bourgeoisie, depuis quelques-unes des figures du pouvoir parmi les plus éminentes. Que l’on se souvienne du neurochirurgien de Samedi (Gallimard, 2006), du prix Nobel de physique de Solaire (Gallimard, 2011) ou de la diplômée de Cambridge devenue espionne pour le MI5 dans Opération Sweet tooth (Gallimard, 2014). Cette fois-ci, dans le vertigineusement troublant L’intérêt de l’enfant, il introduit comme moteur, objet et sujet de son récit Fiona Maye, 59 ans, juge à la Haute Cour où elle est spécialisée dans les affaires familiales. Une femme aussi accomplie que respectable, raide comme la justice bien sûr, mais aussi compréhensive qu’elle se doit de l’être et, pourtant, une femme qui tombe.

Depuis que son mari, Jack, lui a avoué avoir une liaison (ou souhaiter en avoir une, ce n’est pas très clair) avec une collègue qui pourrait au minimum être sa fille, depuis qu’il a par voie de conséquence quitté le domicile conjugal, la juge Maye entre dans la vieillesse entourée d’un piano et d’une bienvenue réserve de whisky. C’est là, à ce moment de "fin des haricots", qu’Adam Henry entre dans la vie de Fiona et la bouleverse, cette fois-ci sans espoir de retour. Adam a 17 ans, une leucémie et peu de temps à vivre si ne lui est pas appliquée la transfusion sanguine que sa foi, celle de ses parents, témoins de Jéhovah, lui refuse. Sollicitée par l’hôpital qui le soigne, la juge Maye doit dire le droit, c’est-à-dire où est vraiment "l’intérêt de l’enfant" chez ce mineur qui, de toute façon, ne l’est plus pour très longtemps. Les deux vont se rencontrer, s’affronter, s’accompagner…

Portrait d’une femme engoncée dans ses certitudes et à qui tout échappe, L’intérêt de l’enfant est peut-être le plus bouleversant des romans de Ian McEwan (au moins depuis Sur la plage de Chesil, Gallimard, 2008). Bouleversant jusque dans son refus de l’être, du primat obscène des émotions, sa façon de les tenir à distance avant de finalement s’y abandonner (il faudra attendre l’avant-dernière page pour que Fiona Maye pleure, comme revenue parmi les vivants). McEwan y démontre avec sa virtuosité coutumière que tout participe du roman, y compris cette "perversion du réel" qu’est aussi la justice. Son livre, sonate pour deux êtres perdus, est un "thriller métaphysique" où l’arme du crime est la force des illusions. Il ne faut préjuger de rien et savoir écouter pour être un bon juge. Il en va de même du romancier. Olivier Mony

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