Gil Adamson nous avait époustouflés avec son premier roman, La veuve (10/18), un western littéraire sur lequel soufflait un grand vent de liberté. Sous une forme en apparence plus modeste, la Canadienne, qui écrit aussi de la poésie, confirme ici son talent de conteuse à la fois ample et subtile. Cette fois-ci pourtant, pas de grande épopée oxygénée dans la nature... Rien de bien héroïque dans la vie de la jeune Hazel, la narratrice. Quand l'histoire commence, elle a moins de trois ans et rentre avec ses parents au Canada, sur un paquebot qui gîte terriblement, après deux ans passés en Australie où son père était professeur. "Nous voguons vers le nord, vers chez nous, portés par une joyeuse nausée ondoyante." Son frère Andrew ne va pas tarder à naître.
De ces premiers souvenirs à l'entrée dans l'âge adulte, le récit, resserré autour d'Hazel et de sa drôle de famille du côté paternel, est éclaté en treize nouvelles autonomes mais reliées où s'illustrent les membres d'une petite communauté de doux-dingues attachants. Il y a North, le père d'Hazel, et ses deux frères : le riche et autoritaire Castor et sa femme Netty, le plus jeune, Bishop, engagé dans la Marine qui rapporte du monde entier des histoires extraordinaires, un fabulateur qui finit par lasser ses conquêtes. Il y a le grand-père paternel et sa Cadillac décapotable, qui se dispute régulièrement avec sa femme.
Le couple des parents est central. Et la nouvelle "Le costume bleu trop grand" campe un formidable portrait de la mère d'Hazel, d'origine écossaise, "grande, élancée, élastique". Une femme fataliste et superstitieuse qui claque les portes par "trop-plein d'énergie" et n'aime pas les mariages. Le père quant à lui est gai et optimiste. Avec sa faculté de s'endormir n'importe où et sa lubie de calmer ses nerfs en refaisant les installations électriques des maisons familiales, il fait penser à un personnage des films de Michel Gondry. Les animaux de compagnie, qui portent tous un nom sauf Chien, celui recueilli par Hazel, jouent eux aussi un rôle important : des poissons qu'élèvent les Draper dans les aquariums aux oiseaux blessés qu'une autre voisine tente en vain de sauver et aux spécimens blancs pour lesquels l'oncle Castor "a un faible".
Derrière les murs, les portes et les fenêtres, du haut du toit sur lequel elle va parfois se percher, Hazel observe avec un sentiment d'étrangeté toute cette ménagerie, ces couples chaotiques et conflictuels, ces épouses qui quittent provisoirement ou définitivement le foyer... Intuitive et clairvoyante, sans que sa lucidité lui soit du moindre secours pour infléchir le cours des choses, elle regarde ce petit monde bricoler sa vie avec plus ou moins de bonheur. Et ce livre fin, souvent drôle, parfois tendre, n'évacue pas le fond de tristesse dans lequel baignent ces avenirs pleins de courts-circuits.