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Une enquête royale

Portrait peint probable posthume de Cléopâtre VII avec des cheveux roux et ses traits faciaux distincts, portant un diadème royal et des épingles à cheveux perlés, de Herculanum, Italie, de la fin du Ier siècle av. J.-C. au milieu du Ier siècle ap. J.-C. - Photo Domaine Public

Une enquête royale

Dans une captivante biographie, Maurice Sartre démêle le vrai du faux à propos de Cléopâtre.

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Par Laurent Lemire
Créé le 26.06.2018 à 17h35

On connaît la terrible phrase d’Anatole France: "Elle était reine et reine orientale, c’est-à-dire un monstre." L’écrivain reprenait à son compte quelques siècles de clichés misogynes et licencieux sur Cléopâtre, des poncifs éculés qui circulaient déjà à son époque, relayés par des chroniqueurs peu scrupuleux. Car que sait-on d’elle véritablement, elle qui fut l’un des personnages les plus biographiés et fantasmés après Jésus? Pas tellement plus, en fin de compte, que sur le Christ. Maurice Sartre est allé y voir de plus près. Epigraphiste, spécialiste de la Syrie ancienne et fin connaisseur du monde gréco-romain, ce professeur émérite à l’université de Tours a interrogé les textes, les inscriptions, les monuments et les monnaies pour séparer le bon grain de l’ivraie. A plusieurs reprises, il n’hésite pas à dire sa perplexité, expliquant que le débat est sans issue, que l’affaire n’est pas simple, qu’il n’y a pas de réponse sûre et qu’il faut se méfier des témoins, surtout quand ils ne sont qu’à charge et qu’ils n’ont de surcroît rien vu.

Mais l’historien de l’Antiquité sait composer avec les lacunes. C’est son lot quotidien. Il a surtout la prudence de ne pas vouloir les combler par des suppositions, mêmes savantes. Alors, il les contourne, habilement, en cherchant à côté, comme le ferait un détective sur une scène de crime. Si un fait reste obscur, il tente de l’éclairer par le contexte, en s’intéressant aux autres protagonistes ou en faisant appel aux traces archéologiques. Il lui faut sans cesse recouper des informations souvent contradictoires pour faire émerger un récit cohérent. C’est ce qui fait la singularité de cette biographie pointilliste.

Avec le recul, on voit bien comment cette image de reine perverse, de femme de pouvoir à l’instar de Messaline ou de Théodora, s’est mise en place. Mais la reine d’Egypte ne fut pas pour autant reine des pommes. La fille du dispendieux Ptolémée XII use de ses charmes pour séduire César et protéger son pays de la domination romaine. Lorsque César quitte Alexandrie pour se faire trucider à Rome, Cléopâtre en profite pour se libérer de sa promesse de gouverner avec son second frère, Ptolémée XIV. Elle le fait donc assassiner. Puis elle charme Antoine, qu’elle épouse, jusqu’à ce qu’Octave ne renverse la situation à la bataille d’Actium. Après la mort d’Antoine, il ne reste plus à la reine d’Egypte que le suicide, mettant fin à son règne et à une dynastie.

Dans cette enquête royale, Maurice Sartre parvient à situer la place de Cléopâtre dans un dispositif complexe où la légende se confond avec l’histoire. Le mythe qui prend forme est déjà quasi hollywoodien, et on comprend son pouvoir d’attraction sur les artistes et les écrivains. Sous sa plume, Cléopâtre est débarrassée de ses oripeaux fantaisistes. Elle n’en demeure pas moins fascinante. L. L.

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